Alors que les scènes de l’émancipation semblent se déliter, revenir aux expériences émancipatrices des années 1980, c’est contribuer à rouvrir des brèches contre-culturelles dont on néglige trop souvent la puissance. A ce titre, la pièce Ça commence par le feu de Magali Mougel et la conférence d’Olivier Voirol, «Retours dans les montagnes», qui lui répondra, viendront nourrir une étincelle dans cette période d’hiver. Seconde conférence du cycle du Groupe Genevois de Philosophie, «Scènes de l’émancipation», elle offrira un contrepoint philosophique à la pièce, donnée au Poche entre le 20 janvier et le 2 février.
La pièce comme la conférence évoqueront le Jura des années 1980, et ses scènes musicales alternatives, «manifestations vivantes des scènes de l’émancipation ordinaire». Car s’engager dans des luttes culturelles émancipatrices, c’est aussi produire de l’espace, des espaces culturels, ou plutôt contre-culturels, c’est-à-dire des lieux d’expérimentation en dehors du marché et des ordres constitués. Olivier Voirol, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne, est spécialiste des travaux de théorie critique de l’Ecole de Francfort. Celle-ci, créée officiellement en 1923 lors de la fondation de l’Institut de recherche sociale (Institut für Sozialforschung), nourrie des travaux d’Adorno, Horkheimer, Fromm, Marcuse, Benjamin (pour n’en citer que quelques figures) incarne depuis lors un mouvement intellectuel transdisciplinaire dont les thèmes de recherche, des contradictions de la modernité aux menaces de l’autoritarisme, sont encore d’une criante actualité. Les travaux de Voirol, au croisement de la philosophie sociale et des sciences sociales, poursuivent ce projet. Il mène en ce moment une importante recherche sur le séjour en Suisse de l’Institut für Sozialforschung avant son exil aux Etats-Unis. La conférence d’Olivier Voirol mêlera philosophie et expérience personnelle des «moments de bascule sociale […] où fleurissent ces scènes, où s’ouvrent les multiples de la figuration, de la dispute et de la politique». Il s’agira de penser ces moments où «l’ordre des habitudes est renversé et [où] le possible s’étend grâce à ces scènes relationnelles et esthétiques ancrées dans une micropolitique de l’ordinaire».
Cette conférence s’inscrit dans le cycle du Groupe Genevois de Philosophie «Scènes de l’émancipation» qui s’est ouvert le 27 novembre dernier au Théâtre du Galpon, par une conférence d’Olivier Neveux sur les tensions entre émancipation et domestication qui travaillent le théâtre politique contemporain. Les conférences à suivre aborderont l’émancipation par différents angles: Olivier Chassaing discutera de philosophie de la prison et de son abolition en écho avec la pièce Marius de Joël Pommerat (à la Comédie de Genève le 21 mars, avec une réponse de la géographe spécialisée en politiques pénales Julie de Dardel); Jacques Rancière et Bernard Aspe exploreront cette question en partant du dernier ouvrage de Rancière sur Tolstoï (au théâtre du Galpon le 30 mars); Hourya Bentouhami évoquera «la langue de l’opprimé», entre Césaire et Shakespeare (en écho à La Tempête de Shakespeare, mise en scène par Omar Porras, au Théâtre de Carouge, le 10 avril); et la conférence à deux voix de Jamila Mascat et Giovanna Zapperi conclura notre cycle sur la philosophie de Carla Lonzi, figure de proue du féminisme italien (à la Bibliothèque de Genève, le 8 mai). Autant de jalons qui visent à (re)penser des voies de libération pour notre temps.