Chroniques

L’Amérique telle qu’en elle-même… ou pas

Transitions

Comme tout un chacun, je me suis plongée dans la campagne électorale américaine, jusqu’au jour où un sentiment d’écœurement m’a soudain terrassée.

Comme si j’étais en train de patauger dans la boue. Au nom du ciel, pourquoi passer autant de temps à se farcir le récit des rodomontades de ce sinistre Donald Trump? Grossier, fanfaron, mégalo et misogyne, cet homme éructe en permanence des insultes, des menaces ou des vantardises. Sauf quand il se trémousse, grotesque, sur une estrade de boîte de nuit. Et voilà que Kamala Harris et Joe Biden s’y sont mis aussi, s’esclaffant de ses bêtises, le traitant de taré ou de fasciste, un terme qu’on lui colle alors qu’il n’a vraisemblablement aucune notion de ce qu’est une idéologie, sauf celle du dollar! Quant aux électeurs trumpiens, on nous les représente agglutinés par milliers, hurlant des cris d’amour plutôt que des revendications politiques. «Great again!»: cette promesse, accueillie avec la foi du charbonnier, semble leur suffire. Finalement seuls les journalistes et les politologues s’efforcent de traduire l’engouement populaire en langage politique: inflation, migration, sécurité, sentiment d’abandon des classes populaires.

Ce qui se profile, tragiquement, c’est la plus terrible trahison du siècle, car derrière le clown illusionniste, on fait peu à peu la connaissance des tireurs de ficelles, dont les médias annoncent l’entrée dans l’arène, mettant en transe le monde entier. Le plus inquiétant, Elon Musk, multiplie les annonces. Mariant la terreur et la dérision, il promet que les coupes budgétaires qu’il se prépare à effectuer auront «des effets tragiques et divertissants»! Au détriment de qui, le tragique, sinon les classes défavorisées dont il se moque éperdument? Même cynisme quand il évoque la déportation de onze millions de migrants: ce sera un «pur bonheur», lâche-t-il. Il se garde bien de préciser qu’elle privera l’agriculture de nombreux travailleurs sans papiers et qu’elle risque de rendre nécessaire l’importation de denrées alimentaires, taxées au prix fort, selon la politique protectionniste des nouveaux rois de l’économie.

Il n’en reste pas moins que l’élection du 47e président des Etats-Unis continue à fasciner le monde entier, comme l’Amérique l’a toujours fait. Y compris la Suisse: sur le plan politique, de nombreuses voix se sont souvent fait entendre pour reprocher au gouvernement helvétique son «aplaventrisme» devant le pouvoir étasunien, qu’il soit républicain ou démocrate, voire sa complicité, notamment dans les magouilles de la CIA pour exterritorialiser quelques présumés terroristes vers des prisons secrètes en Europe et dans le monde, sans procès et ni jugement, suite à l’attaque du 11 septembre 2001. Ce souvenir m’en rappelle d’autres, du temps où l’«impérialisme yankee» nous scandalisait et nous poussait en masse dans les rues: manifestations contre l’embargo total de Cuba après la victoire de Fidel Castro, contre les manigances de la CIA au Chili pour torpiller le régime démocratique de Salvador Allende et installer la dictature d’Augusto Pinochet, contre les guerres criminelles menées au Vietnam, en Afghanistan ou en Irak. Tous ces crimes et bien d’autres se réclamaient de la morale et de la démocratie, comme l’exprimait en toute bonne conscience la secrétaire d’Etat Madeleine Albright dans les années 1997-2001: «Si nous devons recourir à la force, c’est parce que nous sommes l’Amérique. Nous sommes la nation indispensable.»

Les Etats-Unis ont ainsi réussi à construire un empire de dimension mondiale sans colonies ni conquête de territoires. Depuis toujours, ce peuple élu se livre à des exactions «immorales mais nécessaires»: interventions armées, soutien à des régimes dictatoriaux, assassinats et enlèvements. «L’intronisation de Donald Trump est tout sauf une rupture dans l’histoire des USA», affirme l’écrivain américain Viet Thanh Nguyen1>Le Nouvel Obs, 08.11.24.. D’autres politologues estiment, au contraire, que cette élection annonce une nouvelle ère: le passage de l’impérialisme de la grande Amérique au totalitarisme antisystème vers lequel dérivent de nombreux Etats de par le monde.

Peu importe le nom, tout est dans la manière: une gouvernance par la brutalité, le cynisme, l’impunité, l’arbitraire, mise en place par une cohorte de milliardaires qui ne craignent pas de juger «divertissante» la destruction de la sécurité sociale et de l’Etat de droit…

Sous l’impérialisme, on pouvait compter aux Etats-Unis sur des figures telles qu’Angela Davis ou Martin Luther King, ainsi que sur les innombrables militants en révolte contre la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, ce seront peut-être les étudiant·es qui ont occupé les campus des universités américaines en soutien à la Palestine qui feront apparaître quelques lueurs d’espoir. A moins que M. Trump n’envoie l’armée pour rétablir l’ordre, comme il l’a évoqué dans sa merveilleuse campagne.

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* Ancienne conseillère nationale. Dernière publication: En passant… chroniques & carnets, Editions d’en bas/Editions Le Courrier, 2024.

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lundi 8 janvier 2018

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