La crise du vin de Porto
Au terme des vendanges 2024, des milliers de tonneaux de vin de Porto des récoltes précédentes restent invendus, les prix sont en baisse et les producteurs n’arrivent pas à écouler leur raisin. Dans la vallée du Douro, la région vinicole qui borde le fleuve du même nom, de l’Espagne voisine jusqu’à la ville de Porto, le mot crise s’est installé dans la vie quotidienne sans que personne ne prenne de mesures pour l’éviter. Des centaines de producteurs ont manifesté à Régua le 7 octobre et une action de protestation est prévue le 30 à São João da Pesqueira. Même ceux qui ont des acheteurs sont confrontés à un scénario douloureux: en deux ans, les permis de production de porto ont été réduits de 116’000 à 90’000 barriques de 550 litres (les pipas), soit une baisse des revenus de production estimée à 26 millions d’euros.
Depuis des années, la région produit plus qu’elle ne peut vendre sur le marché et les pouvoirs publics se seraient endormis. Certes, la commercialisation du porto est confrontée aux mêmes difficultés que celle des vins doux du monde entier. Pas autant toutefois que le xérès espagnol, dont les ventes mondiales, qui s’élevaient à 79 millions de litres en 2000, sont aujourd’hui inférieures à 28 millions. Mais le vin de Porto est tout de même passé d’une moyenne de 90 millions de litres vendus par an à 65,7 millions. Le chiffre d’affaires s’est réduit de 414 millions à 367 millions d’euros.
Pour couronner le tout, la crise a éclaté après des années d’appauvrissement des agriculteurs. Le Douro est ainsi devenu un chaudron de détresse. La réglementation du secteur vinicole reste un héritage de la période de dictature de l’Estado Novo (1933-1974), qui garantit une rémunération comprise entre 900 et 1300 euros la pipa aux producteurs labellisés, mais laisse tous les autres à la merci des fluctuations d’un marché excédentaire. Comme il y a disparité entre l’offre et la demande, l’ampleur des pertes de production sera une fois de plus importante cette année. Mais pour beaucoup, le pire n’est pas là. C’est de ne pas avoir d’acheteurs. Ou de n’avoir que des acheteurs qui profitent du déséquilibre pour payer 150 euros la barrique, soit 35 centimes le litre. Le modèle n’est plus adapté.
La première réponse du gouvernement a été de négocier à Bruxelles une distillation de crise qui permettrait de mettre fin à l’obligation légale d’utiliser du vin de base du Douro dans l’eau-de-vie incorporée au vin de Porto – environ 115 litres par pipa. La raison en est simple: un litre d’eau de vie provenant de l’étranger coûte en moyenne deux fois moins cher car elle est élaborée à partir de vins provenant de zones très productives. Mais cette proposition se heurte notamment à un obstacle d’ordre juridique: il s’agit de savoir si la législation européenne serait violée, car l’eau-de-vie est un produit industriel soumis à la libre circulation dans l’UE.
Cette crise prouve que le Douro et les autorités qui le gèrent ne peuvent plus faire l’autruche. Les agriculteurs s’appauvrissent depuis plus de vingt ans, alors qu’ils créent deux vins – le Porto et l’AOC Douro – qui représentent près des deux tiers des exportations portugaises du secteur. La démographie reflète bien l’insoutenabilité du modèle économique de la région. Entre 1991 et 2021, le Douro a perdu 22,5% de sa population et son indice de vieillissement a augmenté de 72,7% pour atteindre 274,4% – dit autrement, les 65 ans et plus sont près de trois fois plus nombreux que les moins de 20 ans.
Jean-Jacques Fontaine est un journaliste romand installé au Portugal.
Source: Público, quotidien publié à Lisbonne, édition du 5 octobre 2024.