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Loin des routes principales de l’exil, une hospitalité naissante

En matière de politique d’asile, le Portugal semble le pays européen le plus enclin à l’ouverture. Qu’en est-il dans les faits? Eclairage de Ségolène Huber, pour le bulletin Vivre Ensemble.
Portugal

Discours politique favorable à l’accueil des réfugié·e·s, hospitalité envers les bateaux humanitaires en détresse, pays qualifié de «fermement engagé en faveur de la protection des réfugiés» par le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) en 2018 ou encore régularisation temporaire de sans-papiers en période de Covid-19, les signes d’ouverture du Portugal détonnent dans une Europe qui se referme de plus en plus. Au-delà des mots, qu’en est-il des actes?

Au printemps 2020, lors de la promulgation de mesures sanitaires visant à freiner la propagation de la Covid-19 sur le territoire portugais, le Premier ministre, António Costa, annonçait la régularisation temporaire des immigré·e·s et des demandeur·euse·s d’asile ayant déposé un dossier avant le 18 mars 2020. Un geste salué tant par la presse internationale que par des associations belges ou des députés français réclamant le même type de mesure sur leur territoire. A plusieurs reprises, le chef du gouvernement portugais a publiquement fustigé les discours et attitudes xénophobes de la part de certains pays et a déploré les divisions européennes sur les questions migratoires. Une posture confortable pour un pays peu sollicité traditionnellement par les personnes en quête de protection compte tenu de sa situation internationale. Jusqu’en 2014, le nombre de demandes d’asile s’élevait à quelque 200 personnes par année, essentiellement issues de ressortissant·e·s de ses ex-colonies. Et ce n’est que depuis 2007 que le Portugal participe – timidement – aux programmes de réinstallation de réfugié·e·s du HCR (30 personnes par an).

Une certaine ouverture… A la suite du conflit syrien et de l’augmentation en Europe des flux migratoires en 2015, le pays s’est engagé dans le Programme européen de relocalisation de réfugiés. D’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les deux tiers de l’augmentation des demandes d’asile dans le pays sont liés à ce programme. Au fil des ans, les autorités politico-administratives et ONG portugaises ont mis en place un système d’intégration spécifique pour cette population, qui fut même qualifié de «solution durable et efficace» par le HCR.
En automne 2018, le Portugal a signé directement avec la Grèce un accord bilatéral concernant la relocalisation de réfugié·e·s. De plus, dans le cadre du plan de la Commission européenne (CE) visant à relocaliser de manière volontaire des mineurs non accompagné·e·s depuis la Grèce, il s’est engagé à en accueillir 500.

Quelques ombres au tableau. Pour les demandeur·euse·s d’asile qui ne sont pas dans des programmes de réinstallation (demandeur·euse·s dit·e·s «spontané·e·s»), l’accueil et l’intégration au Portugal sont plus complexes. Si l’accès au marché de l’emploi est immédiat et sans restriction, la validité du permis de séjour, renouvelable tous les six mois, constitue un obstacle. L’accès à la santé et aux moyens de subsistance est aussi fortement impacté par la lenteur du traitement des demandes liée à l’hétérogénéité des bureaux administratifs régionaux.

Plus inquiétant, le recours excessif par le Portugal à la détention des demandeur·euse·s d’asile, y compris des enfants, malgré les recommandations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU fin 2019. En outre, le Comité contre la torture a exhorté le Portugal à «veiller à ce que les enfants non accompagnés et séparés de leur famille et les familles avec enfants ne puissent pas être placés en rétention au seul motif qu’ils sont en situation irrégulière au regard de la législation sur l’immigration».

Une nouvelle ère? Bien que mue par des considérations sanitaires, la régularisation annoncée au Portugal est-elle le signe d’un changement de paradigme? AIDA [la base de données pour la comparaison européenne des procédures d’asile] rappelle qu’elle concerne avant tout les personnes en séjour irrégulier et se trouvant dans une situation de vulnérabilité, car n’ayant pas normalement accès aux soins et à la santé.

Reste le geste, positif, mais, comme son nom l’indique, temporaire. Souffrant d’un déclin démographique, le Portugal ne cache pas que l’accueil des réfugié·e·s peut être une opportunité, également pour faire face au manque de main-d’œuvre dans certains secteurs économiques.

Article paru dans Vivre Ensemble, bulletin pour la défense du droit d’asile, n° 180, décembre 2020, asile.ch

Sources et documentation:

• Asylum Information Database (AIDA), Country report: Portugal, 2019.

• European Asylum Support Office (EASO), Annual Report on the Situation of Asylum in the European Union, 2020.

• Organisation for Economic Co-operation and Development (OECD), Finding their way. The integration of refugees in Portugal, 2019.

• UN Refugee Agency (UNHCR), Resettlement Handbook : Country Chapter – Portugal, January 2019.

• Sacramento, O., Turtiainen, K., & Silva, P. G. (2019). « Policies of Refugee Settlement and Integration in Europe: the Cases of Portugal and Finland », European Journal of Migration and Law, n°21(4), pp. 409-434.

• Infomigrants, «Réfugiés: le Portugal se positionne comme un pays d’accueil», Maéva Poulet, 29 juin 2018.

• Público, «SEF detém crianças requerentes de asilo contra recomendações da ONU», Joana Gorjão Henriques, 22 juillet 2018.

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