Les extrêmes se rejoignent-ils?
On a vu ses derniers mois ressurgir dans le débat public, en France, l’idée que l’on pourrait identifier extrême droite et extrême gauche. Au demeurant, cette thèse est-elle valable?
Les tendances à l’identification
La tentative d’identifier extrême gauche et extrême droite n’est pas une nouveauté. Elle se cristallise par exemple après la Deuxième Guerre mondiale, en particulier chez des politistes libéraux, avec la notion de «totalitarisme». Il y aurait en définitif une possible identification entre nazisme et stalinisme, deux idéologies absolument condamnables. Une identification que récusent certains historiens et historiennes contemporains1>Le Vent Se Lève. Conférence de J. Chapoutot et S. Wahnich: «En finir avec le concept de totalitarisme?», Sorbonne, 26 avril 2024. www.youtube.com/watch?v=iHGxbcXi7nY.
Plus récemment, c’est la notion de «populisme» qui sert également à décréditer dans le même opprobre des courants classés à gauche et à droite de l’échiquier politique. Pourtant cette lecture du populisme a été critiquée par le sociologue Federico Tarragoni. Cet auteur montre comment historiquement le populisme est plutôt un courant classé à gauche, tandis que d’autres courants politiques classés à droite pourraient relever plutôt du «césarisme».
On a vu également des penseurs comme Marcel Gauchet ou des personnalités politiques de droite considérer que le Rassemblement national (RN), en France, n’est plus un parti d’extrême droite, tandis que d’autres, comme Emmanuel Macron, considérèrent que La France insoumise (LFI) serait un mouvement d’extrême gauche. Le président français, parfois qualifié de candidat de l’extrême centre, a fait campagne au premier tour des élections législatives anticipées de 2024 sur la base du «refus des extrêmes de gauche et droite».
Nombreux ont été les médias, durant la séquence électorale, à rappeler que LFI n’est pas classée par le Ministère français de l’intérieur à l’extrême gauche, mais à gauche. Ce parti est souvent considéré comme représentant la gauche radicale. De son côté, le RN est classé à l’extrême droite par le même ministère, et cette qualification a été confirmée par le Conseil d’Etat [la plus haute juridiction administrative française]. De leur côté, les services de police qualifient d’ultra gauche ou d’ultra droite des groupes qui ont recours à la violence.
Alors, les extrêmes se rejoignent-ils?
On s’accorde pour considérer que la gauche radicale désigne des formations politiques qui souhaitent rompre avec le social-libéralisme, et s’inscrivent dans le jeu institutionnel électoral pour tenter d’appliquer une politique de rupture avec le néolibéralisme. On peut parler de réformisme radical. L’extrême gauche désigne plutôt des formations politiques qui ne s’inscrivent pas en priorité dans le jeu électoral, et qui visent une remise en question totale du régime de la démocratie représentative et du système économique capitaliste.
Or l’extrême droite n’est pas le pendant de l’extrême gauche. Le terme «extrême» vient mettre en symétrie des formations politiques qui ne sont pas de même nature. Un parti d’extrême droite se caractérise par son projet social discriminatoire. Le fait de prôner par exemple la «priorité nationale» est un projet social à visée discriminatoire. A cet égard, ce qui est inquiétant, c’est que la «Loi immigration» française (2024) montre que ce projet tend à pénétrer également le droite républicaine et l’extrême centre.
De même, un rapport parlementaire de 2023 souligne qu’il n’y a pas d’équivalence en France, actuellement, entre la violence de l’ultradroite et la violence de l’ultragauche. Cette dernière s’attaque aux biens, tandis que la première s’attaque aux personnes.
Qu’est-ce que l’extrême-droite?
On entend souvent dire que le RN serait un parti qui se serait renouvelé et, de fait, ne pourrait plus être qualifié d’extrême droite. Plusieurs stratégies visent à produire une illusion qu’il est nécessaire de démystifier.
Un premier élément consiste dans la valorisation du référendum2>Selon le système référendaire français. Voir une comparaison franco-suisse sur https://tinyurl.com/4t2t55my (ndlr) qui apparaît à certain comme un gage de démocratie. Or le fait de gouverner par référendum peut être compatible avec une vision autoritaire du pouvoir. C’est ce que l’on appelle traditionnellement le «césarisme démocratique». A savoir une forme de gouvernement qui introduit un lien direct entre un·e leader charismatique et le peuple.
Un deuxième élément, qui est lié au premier, est la visée discriminatoire relativement aux minorités. En effet, le référendum à la majorité constitue une méthode pour pouvoir faire passer avec la légitimité de la souveraineté populaire des lois discriminatoires à l’égard des minorités.
On assiste à un changement de discours de l’extrême droite qui peut se faire, par exemple, le défenseur des droits des femmes ou des personnes LGBT*, pour stigmatiser les migrant·es ou les musulman·es. C’est ce que certain·es auteur·es ont appelé le «fémonationalisme» et l’«homonationalisme».
Comme on le voit, la stigmatisation d’un ou plusieurs groupes minoritaires orientée vers une visée discriminatoire est la caractéristique principale de l’extrême droite.
Notes
Irène Pereira est sociologue et philosophe, cofondatrice de l’IRESMO, Paris. Parution récente: Le féminisme libertaire, éd. Le Cavalier Bleu, 2024.