«Démocratie et vivre-ensemble vont pâtir de vos décisions»
Je vous écris, Madame la CEO, Monsieur le président, et je vous écris, à vous décideurs et actionnaires au sein de l’entreprise Tamedia, au sujet de la décision que vous avez prise de faire disparaître la Tribune de Genève1> Bien que la semaine dernière, lors de son annonce de fusion de trois rédactions romandes, Tamedia ait assuré que l’existence de la Tribune de Genève (et du Matin Dimanche) n’était «‘à ce stade’ pas remise en question», de nombreuses craintes se font jour quant à l’avenir du quotidien genevois (notre édition du 18 septembre), ndlr. et de ne laisser plus qu’un titre pour toute la Romandie.
Je souhaite vous dire la profonde déception et l’incompréhension que je ressens tant face à ces décisions que face à la manière dont elles se sont prises, c’est-à-dire sans information préalable ni concertation avec les représentants politiques genevois ou vaudois. Un début de dialogue semblait avoir été initié lors d’une première suppression de titres et de postes, mais était-ce de la poudre aux yeux?
Comment recevoir cette nouvelle sans y voir une sorte de mépris, avec la désagréable impression que la Romandie, pour vous, ne signifie pas autant que la partie suisse alémanique du pays? En effet, cette dernière a plusieurs journaux, car la Suisse alémanique n’est pas monolithique, mais la Suisse romande le serait-elle, elle? Les Suisse italienne et romanche le seraient-elles?
Un respect de la pluralité et de la diversité, la reconnaissance que nos différences entre régions sont un atout, malgré les défis de tout temps présents, la solidarité vue comme essentielle à la cohésion sont des valeurs fondamentales de notre pays dès ses débuts. Elles fondent notre Constitution et déterminent notre système politique.
Il est vrai que le défi devient de plus en plus grand pour essayer de mettre en œuvre ces valeurs, car d’autres prennent le dessus de plus en plus souvent dans notre société. Je pense que votre décision à Tamedia relève de ce glissement de notre société libérale vers des valeurs de rendement et de gains financiers rapides et outranciers pour une minorité. Et je le déplore vivement.
Hors la démocratie et le vivre-ensemble vont pâtir de vos décisions.
La démocratie par manque d’informations suffisantes et pertinentes, par manque de débats, sera non seulement appauvrie, mais risque de devenir une tromperie. C’est à la presse de relayer une information fiable tout en permettant la diversité des opinions.
Le bien commun et le vivre-ensemble pâtiront par manque d’informations et de considération pour l’«autre» – région, ses réalités et contextes, etc. – et peut-être aussi par manque d’intérêt.
Nous nous connaîtrons de moins en moins et finalement des fossés continueront à se creuser, des préjugés prendront le pas sur la vérité et un dialogue réel. Je crains effectivement un cloisonnement de plus en plus marqué des régions du pays, un appauvrissement des contacts et un abandon de la solidarité interne dans le pays.
Madame Peppel-Schulz, Monsieur Supini, Mesdames et Messieurs du conseil d’administration, Mesdames et Messieurs les actionnaires, vous l’aurez compris, par cette lettre ouverte, je fais appel à votre sens des responsabilités et à votre sens civique.
Je vous demande instamment de bien vouloir renoncer à une stratégie somme toute tournée vers le bien-être d’un très petit nombre en priorité, et qui sacrifie des personnes, des professionnels entre autres.
Je vous demande également d’oser et d’opter pour une créativité nouvelle, et de choisir des stratégies qui tiennent compte des valeurs non quantifiables: le bien commun, la solidarité et la cohésion de notre société.
Notes