Chroniques

Ce n’était pas la pandémie attendue

À livre ouvert

La médaille de bronze du sprinteur américain Noah Lyles l’a rappelé: la pandémie de Covid-19, bien que déclarée officiellement terminée par les autorités sanitaires, persiste. S’il n’avait pas été infecté, Lyles aurait peut-être obtenu l’or convoité aux 200 mètres, sa discipline de prédilection. Au-delà du SARS-Cov-2, deux autres virus font les gros titres cet été. Une transmission à l’humain de la grippe aviaire (H5N1) inquiète, à tel point que la Grande-Bretagne a déclaré la situation prépandémique. L’Organisation mondiale de la santé a quant à elle sonné l’alarme concernant la variole simienne (MPox). La décennie 2020 n’en a pas fini avec les maladies infectieuses. Nos sociétés sont-elles prêtes à y faire à nouveau face?

Andrew Lakoff, sociologue et anthropologue renommé, réfléchit à ce que la préparation à une pandémie veut dire. Avec Planning for the Wrong Pandemic1>Andrew Lakoff, Planning for the Wrong Pandemic. Covid-19 and the limits of expert knowledge, Cambridge: Polity, 2024., il estime que l’on ferait fausse route en envisageant les échecs dans le contrôle de la pandémie de Covid-19 comme résultant d’un manque de préparation. Non, affirme-t-il, les autorités sanitaires étaient particulièrement bien équipées en 2020. Les Etats-Unis comme les pays européens disposaient de stocks de vaccin, de scénarios, de plans ou encore d’outils administratifs et légaux. Le problème n’est pas un manque de préparation – mais une préparation trop rigide pour un autre type de maladie.

Andrew Lakoff cherche à expliquer cette situation en retraçant l’histoire de la préparation au risque pandémique. Il s’agit de mettre en évidence les biais qui sous-tendent les réflexions et qui, quoique largement inconscients, se sont révélés déterminants lors de l’application concrète. Selon lui, les politiques publiques trouvent racine dans la préparation à une guerre thermonucléaire des années 1950 – on est au plus haut de la guerre froide – ainsi que dans l’évolution de ce scénario catastrophe dans les années 1990, où la menace bioterroriste est jugée crédible. Il s’agit d’assurer la survie des fonctions essentielles de sociétés perçues comme vulnérables, et surtout d’assurer la continuité de la capacité de l’Etat à gouverner par-delà une attaque dévastatrice. On est donc loin de se soucier du quotidien de la population, des souffrances face à la maladie ou encore des questions d’égalité face aux politiques publiques. On ne perd guère de temps, non plus, à méditer sur les conséquences sociales des politiques sanitaires.

Planning for the Wrong Pandemic offre, en tout juste 125 pages bien rédigées, l’occasion de réfléchir aux politiques sanitaires autrement que par l’angle de la confiance en la science. L’hésitation vaccinale, comme d’autres l’ont montré, n’a pas nécessairement son origine dans un refus ou une ignorance des principes de la science moderne. Il est plus intéressant de considérer ces questions, comme Andrew Lakoff le fait, comme des problèmes de confiance dans l’expertise scientifique ou dans la légitimité d’autorités technocratiques. On peut néanmoins regretter que l’auteur ne fasse que mentionner le spectre qui, depuis 1918, plane sur les politiques de santé publique: la grippe espagnole, toujours considérée comme le scénario catastrophe que les autorités sanitaires espèrent être en mesure d’éviter. Au vu de l’importance de cette pandémie dans les préparatifs – ne serait-ce que comme un épouvantail jamais pris au sérieux –, sans doute que l’image d’une planification pandémique ancrée dans les plus dures années de la guerre froide en ressortirait quelque peu révisée.

Notes[+]

* L’auteur est Historien

Opinions Chroniques Séveric Yersin A livre ouvert

Chronique liée

À livre ouvert

lundi 8 janvier 2018

Connexion