Palestine et domination environnementale
A plusieurs égards, les mobilisations universitaires en faveur d’un cessez-le-feu rappellent les premiers moments effervescents des grèves pour le climat. Révolté·es par l’inaction de leurs dirigeant·es et de leurs lieux de formation, les jeunes ont pris l’initiative et ont agi de manière résolue et autonome. Les méthodes diverses et créatives sont familières: occupations, manifestations, actions symboliques. Le mode d’organisation également: assemblées générales vibrantes, démocratie de base, tolérance et respect mutuel pour les différences à l’intérieur du mouvement.
Mais il y a plus encore qui relie environnement et lutte pour la libération de la Palestine. La question des ressources naturelles, dont la protection est l’une des priorités de la Grève du climat, est au cœur de la stratégie militaire de domination du gouvernement israélien. En temps de guerre, l’environnement, qui constitue le fondement irremplaçable pour une vie décente, peut devenir la cible d’attaques perpétrées afin d’affaiblir ou détruire une population. C’est ce qu’affirment plusieurs organisations indépendantes, allant jusqu’à accuser l’Etat d’Israël de causer un «écocide». L’agence de recherche londonienne Forensic Architecture a publié en mars 2024 un rapport révélant, selon elle, que «cette destruction est un acte d’écocide généralisé et délibéré qui a exacerbé la famine catastrophique qui sévit actuellement à Gaza et qui s’inscrit dans un schéma plus large consistant à priver délibérément les Palestiniens de ressources essentielles à leur survie»1>L’étude est disponible en ligne sur https://forensic-architecture.org/investigation/ecocide-in-gaza..
L’agriculture palestinienne, pour commencer, a subi des dommages massifs. Si Forensic Architecture rappelle que depuis 2014 déjà, les terres agricoles gazaouies étaient la cible de largages d’herbicides par des avions israéliens, le rythme de destruction s’est largement accéléré depuis quelques mois. Selon leur rapport, les bombardements récurrents et les passages de bulldozers ont réduit la surface cultivable palestinienne de 40%. Les serres sont également dramatiquement touchées. 30% d’entre elles ont été détruites entre octobre 2023 et mars 2024. Si l’on observe plus spécifiquement le nord de Gaza, ce taux atteint les 90%…
Les bombardements israéliens ravagent également les infrastructures urbaines de la bande de Gaza, produisant des quantités gigantesques de débris. Le Guardian rapporte2>Kaamil Ahmed, Damien Gayle, Aseel Mousa, «’Ecocide in Gaza’: does scale of environmental destruction amount to a war crime?», The Guardian, 29.03.2024. que parmi ceux-ci beaucoup contiennent des substances toxiques et explosives. Comme le relate un article3>Philippe Pernot, «A Gaza, des activistes dénoncent un crime d’écocide», Reporterre, 29.04.2024. de Reporterre, les installations de gestion des déchets ayant été détruites, plusieurs décharges improvisées ont vu le jour. Cela augmente le risque de contamination de l’eau et de l’air, compliquant encore les conditions de vie en territoires palestiniens.
Pour terminer, l’eau, ressource de base la plus emblématique, sans laquelle aucune existence humaine n’est possible, est également un outil de contrôle sur les territoires palestiniens. Comme Amnesty l’écrit4>«L’occupation de l’eau», 29.11.2017, disponible sur le site d’Amnesty., depuis 1967 déjà, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, une ordonnance militaire soumet toute nouvelle construction d’infrastructure hydraulique à une autorisation de l’armée israélienne, presque impossible à obtenir. Amnesty retrace que, durant cette même année, «les autorités militaires israéliennes s’étaient emparées de toutes les ressources en eau et des infrastructures associées dans les territoires palestiniens occupés». De cela résulte évidemment une utilisation extrêmement inégale des ressources en eau de la région. Le Monde diplomatique rapportait5>Raphaël Kempf, «Conflit et environnement, le cas de la Palestine», Le Monde diplomatique, 2007. en 2007 que les Palestinien·nes de Cisjordanie consommaient en moyenne 60 litres par personne et par jour, contre 300 pour les Israélien·es. Le déversement d’eaux usées issue de colonies israéliennes dans des vallées agricoles palestiniennes en contrebas est un exemple de plus cité par le mensuel afin de montrer l’honteuse inégalité dans la région. Amnesty rappelle qu’à Gaza, 95% de l’eau est impropre à la consommation. Cette situation tendue s’est évidemment détériorée ces derniers mois. L’organisation Human Rights Watch dénonce6>Kayum Ahmed, «A Gaza, les coupures d’eau par Israël provoquent une crise de santé publique», Human Rights Watch, 16.11.2023. la coupure par le gouvernement israélien des canalisations approvisionnant la bande de Gaza en eau. Le cruel manque d’eau potable fait planer sur toute la région le risque d’épidémies.
Face à ces multiples attaques qui nient les droits humains les plus fondamentaux, la Grève du climat salue les mobilisations universitaires et proclame que la justice environnementale n’existe pas sur des terres occupées.
Notes