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Le paysan impossible?

Carnets paysans

La revue de critique communiste en ligne Contretemps publie ces jours un entretien sur les récents mouvements agricoles avec Yannick Ogor, auteur de Le paysan impossible. L’ouvrage a en effet été réédité l’an dernier, cinq ans après sa première parution aux éditions du Bout de la ville.

L’entretien, mené par Saam Yazdani, a le mérite de rappeler l’absence d’homogénéité du monde agricole et la diversité des intérêts qui le traversent, rendant difficile, voire impossible, le travail de représentation professionnelle. «Lors des crises de surproduction des années 2010, rappelle ainsi Ogor, il y a des éleveurs qui expriment leur colère […] parce que le prix des céréales pour nourrir leur bétail est trop haut, mais ce sont les céréaliers qui leur vendent cette nourriture animale et qui jouent le rôle au sein de la FNSEA [le principal syndicat agricole français] de porter leurs voix!»

Yannick Ogor souligne également avec raison que l’Etat n’est pas un acteur neutre œuvrant au bien commun. La diminution du nombre d’exploitations agricoles qui marque la seconde moitié du XXe siècle est le résultat de politiques volontaristes qui favorisent une agriculture tournée vers l’exportation et une augmentation considérable de la productivité du travail. Dans ce contexte, Ogor relève qu’on peut difficilement attendre de l’Etat qu’il propose «par un coup de baguette magique […] un modèle idéal alors qu’il est le premier soutien de l’agriculture industrielle».

Cependant, la grille d’analyse proposée par Ogor présente quelques défauts sur lesquels il vaut la peine de s’attarder. Le récit historique que trace l’auteur, dans l’entretien comme dans son livre, reprend sans distance celui du sociologue Henri Mendras (La fin des paysans, 1967), récemment actualisé par Pierre Bitoun (Le sacrifice des paysans, 2016). Selon ces travaux, la paysannerie aurait été attaquée – sacrifiée, selon l’expression de Bitoun – en tant que telle. A ce titre, elle connaîtrait un destin singulier dans la marche du capitalisme. Cette croyance dans l’exceptionnalité de la paysannerie est assez courante dans la sociologie française et mène à d’ennuyeux contresens.

De cette conception historique discutable, Ogor tire les éléments principaux de son analyse. Le premier d’entre eux est une opposition radicale aux normes qui, coproduites par l’Etat et l’industrie, «empêchent de conserver une forme d’autonomie dans les savoir-faire paysans».

L’auteur procède à ce sujet à de hâtives généralisations: puisque les normes ne sont pas «un grain de sable dans les rouages de l’agriculture industrielle», il faut rejeter les normes dans leur principe. Or, s’il accompagne indéniablement le développement du capitalisme, l’encadrement de la production par des normes n’en demeure pas moins une manière de lui poser quelques limites. Il semble en outre particulièrement naïf de penser que la liquidation de l’édifice normatif (promesse jamais tenue des droites libérales et des extrêmes-droites) serait de nature à entraver le développement capitaliste.

Ce rejet des normes conduit Ogor à tenir un discours assez curieux sur l’écologie. Selon lui, toute tentative de régulation écologique des pratiques agricoles est vouée à un double échec: d’une part, elle servirait en réalité l’agriculture industrielle puisqu’elle serait coproduite par l’industrie et par l’Etat; d’autre part, elle ne pourrait qu’être rejetée par les paysannes et les paysans parce que «les ruraux se voient encore sermonnés par des citadins». Tout occupé à son discours contre les normes, Ogor refuse de prendre en compte la menace matérielle du réchauffement climatique au profit d’une défense spirituelle de la spécificité paysanne.

En somme, comme il le note à la fin de l’entretien, Ogor estime que le retour à une paysannerie protégée – par qui? – du capitalisme industriel devrait être l’objectif principal de la gauche paysanne. Dans la ligne de Mendras et Bitoun, il prête à un noyau paysan aux contours mal définis la capacité de résister au développement du capitalisme simplement en renouant avec des pratiques et des «solidarités» pré-industrielles. Cette position appauvrit dangereusement le contenu possible d’une politique agricole de gauche et la rend très perméable à une vision souverainiste de mauvais aloi.

Frédéric Deshusses est observateur du monde agricole.

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mercredi 9 octobre 2019

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