Ukraine et Gaza: «deux poids deux mesures»
Le texte de Mme Alison Katz en réponse à mon agora «Les étudiant·e·s protestent contre la complicité de nos démocraties», paru le 22 mai dans Le Courrier, m’a laissé quelque peu perplexe. Ma tribune, forcément limitée dans sa longueur, ne prétendait aucunement évaluer en détail la réponse de nos gouvernements à la brutale invasion de l’Ukraine par la Russie, mais cherchait plutôt à démontrer le deux poids deux mesures – et donc le double langage – des démocraties occidentales qui, d’une part, condamnent l’agression russe et sanctionnent le Kremlin et ses affidés, notamment en interrompant toute relation commerciale, culturelle, scientifique, sportive et bien sûr militaire avec la Russie et, d’autre part, approuvent – ou en tout cas ne désapprouvent pas – la barbarie déployée par Israël contre les Palestinien·nes, allant même jusqu’à faire usage de la police pour dégager les manifestant·es qui occupent les universités et les Hautes Ecoles, notamment suisses, pour protester contre le crime de génocide perpétré en direct sous nos yeux. Mon texte affirmait qu’il y a là une contradiction qui ne passe pas, en particulier aux yeux des jeunes générations.
Mme Katz affirme que ce sont les gouvernements occidentaux, et non Zelensky et les Ukrainiens, qui ont voulu poursuivre la guerre contre la Russie, en citant un entretien daté du 25 mars 2022 (soit à peine quatre semaines après le début de l’invasion russe), dans lequel le président ukrainien affirmait que, pour lui, le plus important était de «sauver des vies». Certes, une préoccupation légitime quelques jours seulement après le début de l’invasion russe en Ukraine, mais qui n’a jamais constitué la doctrine du gouvernent ukrainien.
Je laisse donc la responsabilité de cette curieuse interprétation des faits à Mme Katz, mais force est, en tout cas, de constater que c’est bien Zelensky et le peuple ukrainien qui ont choisi de continuer à se battre pour libérer l’Ukraine de l’occupation russe, et que s’il y a une chose que les Ukrainiens reprochent à l’Occident, ce n’est pas de les pousser à faire la guerre, mais de ne pas les y aider suffisamment, en particulier avec des livraisons d’armes et de munitions qui leur permettraient de la gagner!
Mme Katz parle d’un «élan de paix par la négociation», voulu, selon elle, par le président Zelensky, élan qui, toujours d’après Mme Katz, aurait dû être davantage soutenu par les étudiant·e·s occidentaux·ales. En réalité, Zelensky n’a toujours voulu qu’une chose: la victoire contre l’agresseur russe et la libération de tout le territoire ukrainien dans ses frontières internationalement reconnues, y compris, d’ailleurs, la Crimée et les républiques autoproclamées du Donbass, occupées par la Russie depuis 2014.
La seconde partie du texte de Mme Katz nous rappelle qu’entre 2014 et 2022, une guerre civile faisait rage à l’est de l’Ukraine. Elle accuse le président Zelensky, pourtant décrit un paragraphe plus haut comme un pacifiste, d’avoir «bombardé ses propres citoyen·nes dans le Donbass.» Là encore, je laisse à Mme Katz la responsabilité de telles affirmations, qui semblent, en quelque sorte, justifier l’invasion russe.
Par contre, je rebondis sur ce rappel des faits: il y a eu en effet une guerre civile en Ukraine entre 2014 et 2020, d’ailleurs largement nourrie et entretenue par la Russie. Ce qui permet de répudier un argument très souvent brandi pour justifier la barbarie israélienne, à savoir que l’Ukraine aurait été attaquée sans la moindre provocation (d’où les sanctions contre la Russie), alors qu’Israël se serait contenté de riposter à une attaque terroriste d’une ampleur jamais atteinte (d’où le soutien occidental à Netanyahou). On voit bien qu’en Ukraine aussi, il y a un «avant 24 février 2022», avec son cortège de morts et de destructions, tout comme il y a eu à Gaza un «avant ‘Opération Sabre d’acier’ (l’invasion et la destruction systématique de Gaza)»: c’est-à-dire le 7 octobre 2023, et, bien avant cette date, d’autres événements, d’autres dates et encore d’autres qui, rassemblés, constituent le terreau de ce conflit vieux de 75 ans.
Quoi qu’il en soit, «en tant que socialiste et antimilitariste», pour employer les mots de Mme Katz, il me semble que l’on peut être à la fois partisan du combat des Ukrainiens contre l’agresseur poutinien et exiger l’arrêt du génocide du peuple palestinien.
Jacob Berger est un cinéaste suisse.