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Sortie hongroise de la CPI: «Un signe des temps»

Début avril, la Hongrie recevait en visite officielle le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, frappé d’un mandat d’arrêt par la Cour pénale internationale (CPI), et annonçait dans la foulée son retrait de ladite juridiction. Une décision qui, selon le politologue Michal Ovadek, caractérise les «bouleversements tectoniques» à l’œuvre dans les relations internationales. Analyse.
Droit international 

Après avoir décidé de faire fi d’un mandat d’arrêt international contre Benjamin Netanyahou, la Hongrie est devenue le premier pays européen à annoncer son intention de quitter la Cour pénale internationale (CPI). Cette annonce intervient après que le président Viktor Orbán a accueilli le premier ministre israélien, malgré l’émission d’un mandat d’arrêt par la CPI à son encontre pour crimes de guerre commis à Gaza. En tant que membre de la CPI, la Hongrie est censée livrer toute personne faisant l’objet d’un tel mandat dès qu’elle entre sur son territoire. Au lieu de cela, Orbán a déroulé le tapis rouge. A la suite de cette visite, un haut responsable du gouvernement a confirmé l’intention de la Hongrie de quitter la Cour.

Savoir si la menace sera mise à exécution demandera un certain temps, car il faut au moins un an pour quitter la Cour après l’envoi d’une notification écrite officielle, mais le signal en lui-même constitue un tournant. Le rejet ouvert par la Hongrie d’un élément important du droit international est une nouvelle preuve des bouleversements tectoniques qui s’opèrent actuellement dans les relations internationales.

Durant la majeure partie des années 1990 et au début des années 2000, la politique étrangère occidentale s’est concentrée sur la création de mécanismes institutionnels visant à préserver le consensus international libéral né à la fin de la guerre froide; la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) [1995] et celle de la CPI [2002] en constituent deux des manifestations les plus concrètes. Ces institutions représentent toutes deux des tentatives d’instaurer une formalité juridique et judiciaire dans la politique internationale. Contrairement à ses deux prédécesseurs ad hocles tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda – la CPI est une cour de justice permanente. Elle est chargée de superviser les procès pénaux des personnes accusées d’implication dans des crimes graves, tels que le génocide.

Même à son apogée, l’idée que les relations internationales devaient être soumises à davantage de règles et à des mécanismes d’application a toutefois suscité son lot de sceptiques et de détracteurs, notamment parmi les pays dont les intérêts et le pouvoir risquaient le plus d’être sévèrement limités par un système judiciaire international efficace. Les Etats-Unis, la Russie et Israël, qui avaient initialement signé le Statut de Rome sur lequel repose la CPI, ne l’ont pas ratifié – et ont ensuite retiré leur signature –, tandis que la Chine et l’Inde ne l’ont jamais signé.

Les pays européens en général (et les Etats membres de l’UE en particulier) ont toujours été parmi les plus favorables à la CPI. Le Vieux Continent a connu l’expérience peut-être la plus importante en matière de justice pénale internationale: les procès de Nuremberg pour les crimes nazis. Cet héritage a contribué à alimenter le soutien européen à l’idée que les responsables d’agressions et d’atrocités doivent rendre compte pénalement de leurs actes. Des pays comme la Hongrie, issus de l’ex-bloc de l’Est, n’ont pas fait exception. Il n’y avait aucune raison idéologique ou pratique de s’opposer à la création de la CPI. Au contraire, ceux qui souhaitaient adhérer à l’UE avaient jugé plutôt avantageux de soutenir la Cour. Hormis le Bélarus et l’Azerbaïdjan, tous les pays européens ont ratifié le traité de Rome, et aucun ne l’a quitté – jusqu’à présent.

La montée de l’autoritarisme kleptocratique en Hongrie fait que sa sortie de la CPI ne devrait pas particulièrement surprendre. Au sein de l’UE, la Hongrie a toujours agi comme un cheval de Troie au service des intérêts de gouvernements autoritaires, notamment la Russie, la Chine et la Serbie. Sa rupture avec les valeurs et les principes censés être au cœur du projet européen va bien au-delà du soutien aux institutions internationales et à la justice.

Un consensus qui s’effrite. Par ailleurs, le contexte international au sens large est devenu également moins favorable à la légalisation et à la judiciarisation. Des pays qui feignaient auparavant de s’engager en faveur du droit international sont devenus de véritables parias. L’exemple le plus flagrant est bien sûr la Russie, qui mène une guerre d’agression contre l’Ukraine – un crime au regard du Statut de Rome. Mais surtout, les Etats-Unis tournent de plus en plus le dos aux règles internationales. Ils sont en train de démanteler bon nombre des institutions internationales si laborieusement mises en place. Bien que Donald Trump soit sans doute celui qui sème le plus le chaos, les Etats-Unis ont déjà débranché le système d’appel judiciaire de l’OMC sous Barack Obama [en bloquant le renouvellement des juges qui y siègent]. Et l’année dernière, l’administration Biden a failli imposer des sanctions à la CPI à la suite de l’émission par la Cour des mandats d’arrêt contre des dirigeants israéliens, dont Netanyahou.

Dans l’ensemble, ces évolutions laissent l’UE et une poignée d’autres pays de plus en plus isolés dans leur soutien à la CPI et à d’autres éléments du dit «ordre international fondé sur des règles». Si la sortie de la Hongrie représente un nouveau coup de boutoir, l’engagement des autres Etats membres de l’UE n’est plus si évident non plus. Le chancelier allemand Friedrich Merz a promis de trouver un moyen de permettre à Netanyahou de se rendre dans son pays1> www.dw.com/en/merz-invites-netanyahu-to-germany-despite-icc-arrest-warrant/a-71788069 malgré le mandat d’arrêt de la CPI.

Le mépris flagrant de la Hongrie face à son obligation d’arrêter Netanyahou la place parmi les pays qui arborent leur non-respect du droit international comme une distinction honorifique. L’expérience de l’un d’eux est particulièrement instructive. Lors de sa visite en Afrique du Sud en juin 2015, Omar el-Béchir, alors président du Soudan et recherché pour crimes contre l’humanité [il était poursuivi pour génocide au Darfour], a été autorisé à assister à un sommet2> www.theguardian.com/world/2015/jun/15/south-africa-to-fight-omar-al-bashirs-arrest-warrant-sudan, puis à quitter le pays, malgré les décisions de justice ordonnant son arrestation. Dix ans plus tard, l’Afrique du Sud est à la tête de la campagne juridique internationale contre les atrocités commises par Israël en Palestine3> www.aljazeera.com/news/2024/10/28/south-africas-legal-team-says-intent-is-clear-in-israels-gaza-genocide#flips-#:0. Netanyahou serait très certainement arrêté en Afrique du Sud aujourd’hui, ainsi que dans de nombreux autres pays africains et musulmans qui avaient protesté avec véhémence contre le mandat d’arrêt visant el-Béchir par le passé.

L’efficacité des règles internationales et leur application exigent un soutien constant et crédible d’une large coalition d’Etats – deux éléments qui font de plus en plus défaut à la CPI.

Michal Ovadek est maître de conférences en science politique, spécialiste des institutions et politiques européennes, University College London (UCL).

Article paru sous le titre ««Hungary’s exit from the International Criminal Court is a sign of the times»» dans The Conversation (Europe). Trad: CAc/DeepL/Google Translate