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Les jeunes, acteur du renouveau des médias?

Les offres d’abonnements gratuits à la presse régionale proposées aux jeunes de 18 ans n’ont pas engrangé de résultats probants, selon Jean-Claude Domenjoz. Une des pistes pour éveiller l’intérêt des jeunes pour l’actualité politique et sociale et la pratique quotidienne de la lecture de la presse serait de les impliquer dans l’élaboration et la diffusion de contenus.

Au nombre des mesures imaginées pour remédier à la désaffection de la presse écrite tout en renflouant ses finances, plusieurs cantons ont envisagé d’offrir des abonnements aux jeunes qui atteignent leur majorité. Genève a mis sur pied depuis 2023 un projet pilote visant à encourager les jeunes citoyens et citoyennes à s’informer sur la vie politique du canton. La dimension civique est au cœur de cette initiative: «La presse représente un pilier du débat public et le fondement d’une démocratie fonctionnelle et forte. Elle est garante de l’exercice des droits et des devoirs démocratiques et de la libre formation de l’opinion» (communiqué, Chancellerie d’Etat – Genève). Une telle démarche a aussi été lancée dans le canton de Fribourg l’année suivante.

L’offre d’abonnements gratuits à la presse régionale proposée aux jeunes l’année de leurs 18 ans a fait long feu. Les premiers résultats sont tombés. Le nombre d’abonnements gratuits de presse écrite sollicités est très modeste en regard de l’effectif des bénéficiaires potentiel·les et du tirage des journaux, tant à Genève qu’à Fribourg. A Genève, en 2023, 511 jeunes sur les quelque 6200 qui y avaient droit en ont profité (8%) et 318 en 2024 (5%). A Fribourg, 454 personnes ont bénéficié de cette offre l’an dernier, ce qui correspond à environ 12% des jeunes qui ont atteint leur majorité pendant l’année. Les titres édités à Genève, Le Temps, La Tribune de Genève, Le Courrier, ainsi que La Liberté à Fribourg, ont obtenu moins d’un pourcent de nouveaux abonnés.

Comment expliquer ces résultats? C’est simple, la presse ne fait plus partie de l’univers de vie des jeunes, ni de celui de leurs parents. Nombre d’études ont montré que la plus grande partie des digital natives s’informe principalement par les réseaux sociaux, préfère visionner de brèves vidéos et n’est que peu intéressée par les nouvelles d’actualité politique et sociale, voire les évite. Le manque d’intérêt pour l’actualité constitue un frein très sérieux au succès de telles offres. Selon le Reuters Institute Digital News Report 2024, en Suisse, 26% des 18-24 ans seulement sont intéressé·es par les nouvelles.

L’intérêt pour l’actualité politique et sociale et la pratique quotidienne de la lecture de la presse sur support numérique ou imprimé sont affaire de goût, de manière d’être, d’habitude. Un ensemble de dispositions, profondément intériorisées, qui se construisent socialement dès le plus jeune âge. C’est donc bien avant que les jeunes aient atteint l’âge de la majorité qu’il faut agir. L’école publique, qui accueille tous les enfants pendant de longues années, constitue le lieu privilégié pour développer progressivement leur goût pour l’information de qualité et pour leur inculquer des compétences informationnelles. A ce propos, la première enquête sur les compétences médiatiques de la population suisse, commanditée par l’Office fédéral de la communication (Ofcom), a révélé que 88% des jeunes adultes de Suisse romande (18-29 ans) n’ont que de faibles compétences médiatiques.

L’intérêt pour l’actualité et le développement de compétences informationnelles vont de pair. C’est sur ces deux tableaux qu’il faut agir, en impliquant les jeunes dans la production et la diffusion d’informations. Il faut les envisager comme des parties prenantes, non comme des consommateurs ou des consommatrices de produits d’information. C’est encore rarement le cas. Pour la presse, il est vain d’imaginer rétablir le lien avec les publics de jeunes dispersés dans la vaste jungle des réseaux sociaux en les attirant avec des contenus «info-divertissants» calibrés pour TikTok et Instagram.

C’est pourquoi je préconise d’envisager la création à grande échelle de médias de toute nature réalisés par les enfants, les adolescent·es et les jeunes adultes accompagnés par des journalistes, des professionnel·les de l’image et de la communication, ainsi que de membres du corps enseignant. Ecrire, photographier, enregistrer des interviews, dessiner, filmer, rechercher des informations, les mettre en forme, puis les diffuser dans des feuilles imprimées, des journaux en ligne, des podcasts, des vidéos et des posts sur des médias sociaux libres…, que d’opportunités pour apprendre! Il me paraît essentiel que les jeunes soient impliqués dans l’élaboration et la diffusion de contenus utiles à leur communauté et à la société dans son ensemble.

Jean-Claude Domenjoz est auteur du blog educationauxmedias.ch, Genève.