L’homophobie, une valeur traditionnelle africaine?
Les pays occidentaux furent durant des décennies le théâtre de luttes intenses avant que les droits des personnes homosexuelles soient officiellement reconnus. Aujourd’hui, en Europe, en Amérique du Nord ainsi que dans la plupart des pays d’Amérique latine, les personnes appartenant à la communauté LGBTQ ont droit de cité, même si l’homophobie n’a pas complètement disparu.
En Afrique et en Asie, en revanche, la situation demeure très contrastée d’un pays à l’autre. Si, sur le continent africain, certains pays tels que le Botswana, le Gabon, l’Angola ou encore le Mozambique ont dépénalisé l’homosexualité, les législations d’autres pays considèrent les relations entre adultes de même sexe comme un crime, avec des peines encourues pouvant aller jusqu’à la peine de mort, comme c’est le cas en Mauritanie et en Ouganda.
En Ouganda précisément, la deuxième mouture d’une loi durcissant drastiquement les poursuites contre les homosexuel·les a été récemment votée par le parlement. Le président ougandais, Yoweri Museveni, avait pourtant refusé de signer la première version législative adoptée par le Parlement le 21 mars 2024; laquelle avait suscité un véritable tollé de la part des pays occidentaux, assorti de fortes pressions de la part des bailleurs de fonds qui menaçaient de suspendre leur coopération.
Cela n’a pas empêché le président ougandais de valider le 3 mai dernier une nouvelle version de la loi qui maintient la peine de mort en cas de «récidive», faisant de ce «texte discriminatoire probablement le pire au monde en son genre», selon les termes du haut commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk. Dans la foulée, l’Ouganda a été exclu de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act ou Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique), programme qui permet à certains pays «amis» des Etats-Unis d’avoir avec eux des relations économiques privilégiées. Tandis que le FMI et la Banque mondiale remettaient en cause leurs prêts à l’Ouganda.
Un scénario identique est en train de se dérouler au Ghana où, en février dernier, une nouvelle loi visant la communauté LGBTQ a été adoptée par le parlement, avec des peines allant jusqu’à trois ans de prison pour ses membres, et jusqu’à cinq ans pour toute personne qui les soutiendrait. Des critiques occidentales, mais aussi ghanéennes, se sont multipliées à l’encontre de ce nouveau texte intitulé «Droits sexuels humains et valeurs de la famille», qui n’attend pour entrer en vigueur que la validation du président ghanéen, Nana Akufo-Addo. Lequel hésite: le Ghana, en pleine crise financière, a en effet impérativement besoin des prêts de la Banque mondiale et du FMI, et les autorités ghanéennes craignent les réactions des deux institutions, à l’instar de ce qui s’est récemment passé en Ouganda.
Le nouveau premier ministre et ex-leader de l’opposition sénégalaise, Ousmane Sonko, a récemment déploré que la question du genre ou la défense des minorités sexuelles deviennent des conditions pour obtenir des financements de la part des institutions financières internationales. «Les velléités extérieures de nous imposer l’importation de modes de vie et de pensée contraires à nos valeurs risquent de constituer un nouveau casus belli avec l’Occident», a-t-il déclaré.
L’argument des valeurs traditionnelles qui seraient «bafouées» par l’activisme occidental en faveur des droits des minorités sexuelles est brandi à des degrés divers par différents chefs d’Etat africains. Pour le président ougandais Yoweri Museveni, usé par trente-huit années de pouvoir sans partage, son acharnement à l’égard de la communauté homosexuelle est sans conteste une manière de se forger à moindre frais une posture de «résistant» face aux pressions occidentales. Reste que la question de savoir si chaque société peut régler elle-même et à son rythme les questions de société qui se posent à elle, comme le font les pays occidentaux, sans avoir à subir les pressions de ces derniers, demeure ouverte.
Catherine Morand est journaliste.