Contrechamp

Accélérer la sortie du fossile et du fissile

Au menu du scrutin du 9 juin, la loi sur l’électricité, et l’opportunité pour les citoyen·nes suisses de se prononcer sur l’instauration d’un approvisionnement électrique basé sur les énergies renouvelables. Spécialiste en durabilité, René Longet rappelle l’enjeu central du projet: en finir à terme avec les «sources d’énergies les plus toxiques» – le fossile et le nucléaire.
Accélérer la sortie du fossile et du fissile
Des panneaux solaires installés sur des paravalanches dans les alpes valaisannes, en août 2022. KEYSTONE
Suisse

Le 9 juin, nous nous prononcerons sur l’accélération de la transition énergétique. Or, de nombreuses données de base sont méconnues et on polémique beaucoup sur les éoliennes ou la voiture électrique, en occultant l’enjeu clé: se débarrasser du fossile et du fissile.

En Suisse, nous dépendons en effet à près de 75% du pétrole, du gaz «naturel» et de l’uranium. Rien de tout cela n’est disponible dans le pays et doit être importé, souvent de régimes fort discutables. Ce sont de plus les sources d’énergie les plus toxiques de toutes et aucune n’est renouvelable. Pour l’essentiel, les transports routiers sont assurés par le pétrole, et près de 60% de notre parc immobilier est chauffé au mazout ou au gaz. Un tiers de l’électricité produite en Suisse, fournissant 20% de notre bilan énergétique, est issue de nos quatre centrales nucléaires; l’uranium représente ainsi 7% de notre mix énergétique.

Nous devons être très conscient·es de la fragilité et de la dangerosité d’une telle dépendance: outre les risques géopolitiques que plus personne ne peut nier, le changement climatique frappe la Suisse d’un réchauffement de 2,5 °C1>Le Courrier, 2 mai 2024., le double de la moyenne planétaire. Nous avons ainsi déjà connu d’importants incendies de forêts, des pâturages auxquels il a fallu livrer l’eau par camions-citernes, des records de chaleur urbains et des instabilités de terrain en montagne.

La transition passe par l’électricité

Concernant le chauffage, son électrification à travers les pompes à chaleur est un axe important de la transition énergétique, outre le chauffage au bois (aux quantités limitées) ou à la géothermie (disponible dans des sites spécifiques), ou encore le chauffage à distance (d’origine renouvelable si possible). Simultanément, il faut accélérer les rénovations énergétiques et limiter les températures de chauffage.

Concernant la mobilité, l’avantage décisif du moteur électrique est son rendement du triple de celui du moteur à explosion2>Voir par exemple: beqtechnology.com/blog/differences-moteur-electrique-et-moteur-combustion/. Là aussi, il convient, parallèlement, de plafonner la puissance des véhicules, de mieux organiser la mobilité et de réduire la part du trafic individuel motorisé3>OFS, Comportement de la population en matière de mobilité, Résultats du microrecensement mobilité et transports 2021, Neuchâtel 2023.. Et de mieux utiliser les voitures, au taux d’occupation actuellement de 1,53 personne4>Op. cit., p. 53.… Enfin, de veiller à ce que l’électricité servant à recharger les batteries soit d’origine renouvelable.

A propos des batteries, l’exploitation des travailleurs des mines n’est pas une fatalité et il s’agit de revendiquer le respect des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT)5>Voir la directive sur le devoir de vigilance des entreprises dans l’UE adoptée finalement en avril 2024: tinyurl.com/bdd76ed7. Et surtout de généraliser le recyclage des batteries6>www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-94311.html; la technologie évolue rapidement et divers métaux s’offrent pour stocker l’électricité7>«Quels matériaux pour les batteries du futur?», Techniques de l’ingénieur, 23.01.2023, tinyurl.com/34dmvt2k.

On entend souvent qu’il «n’y a qu’à faire des économies». Commencer par les économies est en effet la bonne logique, mais quand on voit la lenteur du changement des comportements, notamment en matière de véhicules à moteur, où la moitié des nouvelles immatriculations sont des SUV8>OFEN, Energieverbrauch und Energieeffizienz der neuen Personenwagen und leichten Nutzfahrzeugen 2022, Berne 2023, p. 36. émettant 11% de plus de CO2, il est illusoire de penser qu’on va économiser dans les délais voulus… trois quarts de notre consommation. Néanmoins, obtenir de fortes économies est indispensable. Cela passe par une meilleure efficacité technique (mais souvent mangée par l’effet dit «rebond», à savoir une augmentation de l’utilisation et du nombre des équipements concernés) et surtout par la sobriété dans nos usages.

On ne peut donc pas se passer de davantage exploiter les énergies renouvelables dont nous sommes bien pourvus: bois, chaleur du sous-sol (géothermie) et de l’environnement (pompes à chaleur), déchets verts, vent, soleil, force hydraulique… Certes, aucune forme d’énergie n’est sans effet sur l’environnement. Toutefois, le recyclage des composantes tant des panneaux solaires9>www.prime-energy-technics.ch/recyclage-panneaux-solaires et www.helvetia-energy.ch/recyclage-panneaux-photovoltaiques-suisse/ que des éoliennes10>«Le recyclage des éoliennes: un défi majeur pour l’industrie éolienne et ses partenaires», Environnement magazine, 27.03.2023,
tinyurl.com/pxtm9udc
progresse rapidement et, contrairement aux installations nucléaires, les agencements solaires et éoliens se démontent sans problèmes.

Nos barrages fournissent aujourd’hui deux tiers de notre électricité, soit 37 TWh, contre 23 TWh pour le nucléaire. Toutefois, à juste titre, la loi fédérale sur la protection des eaux11>RS 814.20, chap. 2 et 3 («Maintien de débits résiduels convenables » et «Prévention et réparation d’autres atteintes nuisibles aux eaux»). fixe des limites à l’exploitation des quelque 110 000 petites et grandes installations hydrauliques12>OFEN, «Installations de production d’électricité en Suisse»,
tinyurl.com/y8tbmdpd 13 www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-90116.html
et aux projets futurs. Ainsi, les développements à venir consisteront essentiellement en améliorations des rendements et en augmentations des capacités des barrages, qui permettront aussi de faire face à une pluviométrie devenue plus erratique. La révision de la loi sur l’énergie soumise à votation le 9 juin comporte ainsi une liste de treize barrages à rehausser et de seulement deux nouveaux, pour une production supplémentaire de plus de 2 TWh, permettant ainsi d’atteindre l’objectif de 39 TWh pour 2050.

Solaire, éolien et querelle du paysage

Quant au solaire et à l’éolien – deux sources complémentaires en termes de disponibilité – leur potentiel est considérable: 29,5 TWh pour l’éolien13 et le double pour le solaire13>www.swissolar.ch/fr/marche-et-politique/potentiel-solaire-en-suisse, bien assez – sous réserve de l’acceptation des populations – pour parvenir aux 45 TWh attendus en 2050. Selon la planification, toute la production d’électricité sera alors renouvelable et fournira 84 TWh, suffisant pour absorber l’électrification de la mobilité et du chauffage – dans un cadre de sobriété.

Pour le solaire, on vise avant tout les toitures et des façades. Malheureusement le Parlement n’a pas voulu de l’obligation d’installer des panneaux solaires sur les bâtiments existants, ralentissant fortement l’essor du solaire. D’autres possibilités prometteuses sont l’équipement de bordures de voies ferrées et d’autoroutes, ainsi que de serres et d’autres installations agricoles (l’agrophotovoltaïque)14>www.ecoenvironnement.net/photovoltaique-terres-agricoles/ et Agroscope, «Agri-photovoltaïsme et cultures sous serre. Projet pilote», tinyurl.com/yhaf7skz. Enfin il y a le solaire alpin. Situé au-dessus de la couche de brouillard, sa contribution est essentielle au plus fort de la demande hivernale. A cela s’ajoute un rendement d’au moins 40% plus grand qu’en plaine15>Voir par exemple «Les panneaux solaires seraient plus efficaces en montagne qu’en plaine», RTS, 13.01.2019, tinyurl.com/5f8ef7ek.

Mais si 10% de notre production électrique est déjà solaire, la part de l’éolien reste marginale. Alors que les cartes16>OFEN, «Installations éoliennes», tinyurl.com/yj5umtk9 définies en fonction de l’atlas des vents et excluant les sites protégés aboutissent à 750 turbines et à 7% de l’électricité, on en est à 47 turbines fournissant 0,25% de la production électrique face à une moyenne européenne de… 17%.

Que ces équipements soient visibles est incontestable. Mais au lieu de s’en offusquer, on pourrait tout aussi bien les revendiquer avec fierté comme autant de contributions à notre sécurité énergétique. L’impact visuel des remonte-pentes, des canons à neige, des paravalanches ou des lignes à haute tension est bien plus important et n’est guère discuté; nos paysages de montagne sont en train de se dégrader sous les coups de boutoir d’un climat perturbé, qui va les modifier infiniment plus que les éoliennes ou les panneaux solaires – installés pour maîtriser le changement climatique…

Quant au solaire alpin, les projets ne concernent qu’1% des surfaces d’alpage; le recul de la paysannerie de montagne a conduit à l’abandon d’un quart des surfaces pâturées. Le fait que les panneaux soient placés à bonne distance du sol permet à la végétation herbagère de prospérer et protège les lieux de l’embroussaillement; la pâture des moutons n’en est aucunement gênée. Le photovoltaïque au sol est particulièrement bien encadré en termes d’engagements écologiques17>www.photovoltaique.info/fr/preparer-un-projet/quel-type-de-projet/photovoltaique-au-sol/ (en particulier Charte photovoltaïque au sol).. Enfin, les atteintes à la biodiversité par les éoliennes sont fortement exagérées. On peut notamment les équiper de dispositifs d’avertissement de l’avifaune et d’arrêt des pales18>news.eneco.be/des-eoliennes-bientot-capables-de-detecter-les-oiseaux-et-dadapter-leur-fonctionnement#. Ce qui décime nos oiseaux? Nos chats, la circulation routière, les baies vitrées et l’agriculture intensive!

Notes[+]

Du même auteur: https://biosphereetsociete.org/wp-content/uploads/2024/03/Article-Energies-renouvelables-et-biodiversite.pdf

Opinions Contrechamp René Longet Suisse

Dossier Complet

Votations fédérales du 9 juin 2024

mardi 16 avril 2024
La population suisse se prononce sur trois initiatives populaires concernant la santé: allègement des primes d’assurance-maladie à maximum 10% du revenu; frein aux coûts; et «Pour la liberté et...

Connexion