Sans-papiers et surpopulation carcérale
Samy1>Nom d’emprunt. vit en Suisse depuis onze ans. Il y travaille et y mène une vie relativement normale. A ceci près qu’il est régulièrement arrêté et emprisonné au motif qu’il ne possède pas de titre de séjour valable. Car la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) prévoit à son article 115 que toute personne séjournant illégalement sera punie d’une peine pécuniaire ou de prison (maximum un an). En érigeant le séjour irrégulier en infraction, ce cadre légal engendre des détentions à répétition pour les personnes sans-papiers. Et comme les peines se durcissent au fur et à mesure des nouvelles arrestations, la peine pécuniaire tombe au profit de la seule détention. Au final, «ils te relâchent devant la porte et qu’est-ce que ça change? Qu’est-ce que ça a changé de te détenir?» (Samy).
La mise en détention pour séjour illégal varie entre les cantons. Le canton de Vaud, où habite Samy, est l’un de ceux qui prononcent le plus de peines privatives de liberté.2>En 2021, le canton de Vaud a prononcé 2155 peines de privation de liberté; le canton de Berne, bien que plus peuplé, en a rendu 1092 (OFS, 2023). Il recourt aussi fortement à la détention provisoire (avant jugement), souvent prononcée contre les personnes sans statut de séjour au motif d’un «risque de fuite».
En juillet 2023, le canton affichait un des taux de surpopulation carcérale les plus élevés de Suisse (114%). Le dernier rapport de la Commission des visiteurs du Grand Conseil vaudois (CVGC) faisant état pour sa part d’un taux d’incarcération de 166% enregistré à la prison lausannoise du Bois-Mermet.3>«Rapport de la CVGC et déterminations du Conseil d’Etat du 30 juin 2022 au 30 juin 2023», janvier 2024. Cette surpopulation engendre non seulement des conditions alarmantes au sein des prisons, mais aussi une utilisation accrue des zones carcérales lausannoises.
Conditions contraires à la CEDH. Les deux zones carcérales de Lausanne ont été maintes fois dénoncées pour leurs conditions de détention inhumaines. Cellules souterraines de 7 m2 sans eau courante, à l’aération insuffisante et aux lumières constamment allumées – y compris la nuit –, où les personnes sont enfermées seules 23h/24. Elles y sont constamment filmées et ne peuvent sortir qu’une heure par jour dans une cour grillagée. Les visites sont interdites, sauf pour l’avocat·e.4>Description issue du rapport du Sous-Comité pour la prévention de la torture, 26 mai 2020, et du rapport de la CVGC, juin 2022.
Le Tribunal fédéral a reconnu que ce mode de détention «constitue sans conteste un traitement dégradant» en violation de l’art. 3 CEDH.5>ATF 140 | 246, consid. 2.4.1. Malgré ces critiques, les autorités cantonales vaudoises s’accommodent de cette pratique illicite en octroyant un dédommagement à titre de réparation pour tort moral aux personnes enfermées qui le demandent. A chacune de ses arrestations, Samy a été détenu au sein de la zone carcérale. La dernière fois, il y est resté seize jours. Informé par d’autres détenus (rien ne lui avait été communiqué par les autorités), il a demandé un dédommagement. «Le lien de causalité entre l’acte illicite et le dommage ne faisant guère de doute, l’Etat de Vaud est en mesure de vous proposer une indemnité (…), à savoir un montant de CHF 50.- par jour», lui a répondu la Direction générale des affaires institutionnelles et des communes.6>Lettre reçue par Samy.
La CVGC rapporte qu’entre janvier et novembre 2022, la proportion de personnes ayant séjourné dans les zones carcérales plus de 48h était de 89% et que la durée maximale de détention a atteint 43 jours.7>Rapport de la CVGC déjà cité. La CVGC prône un changement d’approche politique, tout comme la vice-présidente de la Conférence européenne de probation, qui appelle à une dépénalisation de certaines infractions.8>Canton de Vaud, Assises de la chaîne pénale, Lausanne, 10 décembre 2018. En Suisse, cela pourrait commencer par celle du séjour sans statut.
Notes
Elisa Turtschi travaille à l’Observatoire romand du droit d’asile et des étranger·ères (ODAE).