Fragile liberté
La presse libre est l’œil du peuple partout ouvert. Celui qui furète dans les coulisses du pouvoir, qui parcourt des kilomètres de documents caviardés à la recherche d’un chiffre, d’une phrase, d’une note de bas de page attestant d’une malversation, d’une ingérence ou d’une crasse politico-financière.
Cette liberté de fouiller est bien plus qu’un simple privilège accordé aux journalistes; elle est le droit inaliénable que chaque citoyen a de savoir ce qui se trame dans les institutions qui le surplombent.
>Lire notre dossier complet du 3 mai 2024: « Medias sous pression »
En théorie, ce droit est assuré en Suisse par les lois fédérale et cantonales sur la transparence. Dans la pratique, les administrations et les entreprises connaissent tous les stratagèmes pour y déroger. A commencer par les procédures-bâillons, qui visent à dissuader les médias de publier des enquêtes embarrassantes.
Pour Le Courrier, l’affaire Gandur est emblématique. En 2015, l’homme s’en était pris au journal après la publication de son portrait. La parution s’était faite avant un vote du Conseil municipal de Genève sur le Musée d’art et d’histoire, qui devait accueillir une partie de la collection du milliardaire.
Les procédures répétées, tant civiles que pénales, nous ont depuis coûté plus de 100 000 francs. L’affaire est aujourd’hui toujours pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Un autre exemple est celui du régisseur et promoteur genevois Stéphane Barbier-Mueller, qui a également tenté de faire pression sur nous entre mars 2022 et mars 2023, en faisant bloquer préventivement un article concernant son implication dans le procès Raiffeisen.
Une nouvelle procédure judiciaire a été initiée et est toujours en cours.
Face à ce genre de manœuvres, qui plombent l’ensemble du champ médiatique et des ONG, la Suisse demeure trop prisonnière de son habitus du secret. Dans son classement mondial de la liberté de la presse publié aujourd’hui, Reporters sans frontières pointe du doigt l’environnement juridique insuffisamment protecteur. La faute au législateur, qui depuis plusieurs années à Berne ne fait qu’allonger la liste des exceptions à la loi sur la transparence.
Sans oublier le vide juridique concernant le secteur privé. Sur ce point, la Suisse ferait bien de prendre exemple sur l’Afrique du Sud et son «Promotion of access to information Act», qui s’applique aux firmes dont les activités sont susceptibles de causer un risque environnemental ou de santé publique. Un dispositif qui permettrait aux journalistes suisses de mieux scruter les agissements écocidaires que les entreprises helvétiques aiment tant maintenir dans l’ombre.