Nutri-Score, un outil excellent… qui sème le doute?
Récemment au parlement fédéral, une large majorité du Conseil national (CN) a torpillé le Nutri-Score1>Lire S. Gremaud, «Le Nutri-Score critiqué», Le Courrier, 28 mars 2024. : paradoxalement, ce sont les milieux paysans qui ont été les fers de lance de l’attaque, en utilisant le prétexte que les produits du terroir pouvaient dans certains cas être pénalisés – alors que des études très fiables, faites en France, montrent le contraire. Un débat folklorique, s’il ne s’agissait d’une question sérieuse de santé publique, où les principaux concernés, les lobbyistes de l’agroalimentaire, ont été particulièrement discrets – à moins que les paysans soient leurs porte-parole?
Revenons un peu en arrière. Il est un fait scientifiquement établi qu’un lien fort existe entre santé et alimentation. De manière générale, on mange trop sucré, trop salé et trop gras (surtout trop de graisses saturées) et cela a un impact majeur sur le déclenchement de maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, diabète et certains cancers, entre autres), avec le surpoids que cela induit. Cette tendance est accentuée par nos habitudes alimentaires largement influencées par la publicité: nous consommons en moyenne 30% d’aliments ultra transformés (et onéreux!), groupe assez hétérogène allant des boissons sucrées aux repas «tout faits», en passant par les céréales prêtes à l’emploi du petit-déjeuner, les biscuits et charcuteries, etc., où «se cachent» du sel, du sucre et du gras en excès. Il est bon de rappeler qu’en 2022, selon l’Office fédéral de la statistique, 43% de la population était en surpoids, dont 12% considérée comme obèse2>Avec un IMC > 30, soit trois fois plus qu’en 1990 – et cela concerne toutes les classes d’âge!
Connaissant le coût social et financier des maladies chroniques pour les collectivités mais aussi les familles, il parait utile et nécessaire d’agir sur les facteurs de risque, en faisant de l’information plus ou moins ciblée et en cherchant à sensibiliser la population au moment de ses achats. Depuis de nombreuses années, les aliments transformés doivent avoir une étiquette nutritionnelle. Mais elle est écrite en si petits caractères, au dos des emballages, que, comme de nombreuses études scientifiques l’ont montré, ces informations ne sont pas ou peu consultées lors des achats. D’où l’idée de créer un score de couleurs apposé en grand sur le devant du paquet, qui permet d’alerter sur les qualités ou les risques nutritionnels qu’un aliment emballé représente.
C’est le Nutri-Score français qui s’est imposé comme le plus fiable et, après la France en 2017, différents pays européens l’ont adopté, dont la Suisse en 2019. Alors qu’il devait être obligatoire à l’origine, il n’est toujours que facultatif, et les débats au CN ont montré qu’il n’y avait pas de volonté politique du Conseil fédéral de le rendre obligatoire. Cela diminue certainement l’efficacité de ce score. Pourtant, des études très solides ont montré un changement favorable de la consommation depuis son introduction, mais aussi une adaptation des industriels – du moins ceux qui ont joué le jeu du Nutri-Score – avec une modification de la composition de leurs produits.
La mise à jour du Nutri-Score est réalisée régulièrement par un comité scientifique international3>Devaux M, Aldea A, Lerouge A, Vuik S, Cecchini M. «Establishing an EU-wide front-of-pack nutrition label: Review of options and model-based evaluation». Obesity Reviews. 2024;e13719. doi:10.1111/obr.13719 d’experts dans le but d’intégrer les dernières données de la littérature scientifique et de correspondre au mieux aux recommandations nutritionnelles des pays européens. C’est ainsi que des adaptations substantielles sont entrées en vigueur au 1er avril de cette année (soit deux semaines après la discussion à la Chambre basse). Elles concernent en particulier les édulcorants, dont les effets nocifs sur la santé sont maintenant démontrés. Donc le Nutri-Score des aliments édulcorés est moins bon qu’avant, malgré leur pauvre teneur en sucre.
C’était l’un des enjeux de la discussion au CN, mais personne n’a parlé de cette modification connue pourtant depuis plus de six mois! Ce débat n’est pas anodin: il a lieu parallèlement à une discussion au niveau européen cherchant à rendre le Nutri-Score obligatoire et faisant face à la résistance féroce de l’industrie agroalimentaire. D’ailleurs, quelques jours après le vote du CN, Migros a dit «repenser son approche actuelle du Nutri-Score sur les marques propres à Migros». Le groupe laitier lucernois Emmi indique, lui aussi, «reconsidérer sa position sur le Nutri-Score, un retrait étant envisageable».
Une fois de plus la santé publique ne parvient pas à s’imposer devant un parlement qui pourtant dit s’inquiéter des coûts des soins… en «oubliant» au passage l’adage: prévenir vaut mieux que guérir.
Je vous laisse deviner qui se frotte les mains.
Notes