On nous écrit

Notre désespoir ne sera pas entendu

Nigel Lindup ne croit plus à une déclaration d’urgence climatique nationale.
Climat

Concernant la destruction du climat, et tout ce que cela implique pour l’habitat de l’humanité, votre lectrice Mme Dinkel adresse un cri de désespoir au Conseil fédéral. Même si je compatis, depuis un certain temps mon optimisme naturel cède au réalisme.

Nous ne résisterons pas à la montée mondiale de la droite politique, avec toute sa stupidité et cupidité, mais surtout avec ses ressources matérielles et financières immenses, grandissantes et écrasantes. Les riches du monde constituent une nation à part, à laquelle notre allégeance est absolue.

Même avec la nouvelle loi en la matière, il n’y aura pas de déclaration nationale d’urgence climatique. Il n’y aura aucune action d’envergure pour mettre fin à nos émissions dangereuses. Il n’y aura aucun encouragement, encore moins une subvention, aux paysan·nes qui cherchent à sortir de l’agro-business toxique. Il n’y aura pas de transfert massif de fonds des autoroutes vers le transport ferroviaire. Il n’y aura jamais de taxe sur le carburant d’aviation et on n’arrêtera pas l’expansion des aéroports. On ne va jamais avouer la chimère des crédits carbone. On n’osera jamais mettre fin aux grands événements émetteurs telles les courses F1, le foot international ou les Jeux Olympiques.

Nous, les petits, nous continuerons à faire nos petits pèlerinages bien sages aux centres de tri tout en pianotant sur nos mobiles jetables bourrés de minerai de sang. Nous poursuivrons notre fuite en avant en voiture hybride ou à vélo électrique, aux batteries au lithium extrait chez les plus faibles. Nous continuerons à accepter l’alimentation bon marché facilitée par les accords de libre-échange qui détruisent les poumons de la planète et poussent nos paysan·nes au suicide.

La liste est longue. Même au sein d’un seul pays, nous ne pourrons jamais nous mettre d’accord pour dire «Stop! Ça suffit!». Encore moins au niveau international. Nous sommes pris dans le piège d’un système économique en autopilote qui se nourrit de la destruction. C’est son essence même. Cela a commencé avec la traite des esclaves et le colonialisme, et cela continue avec la privatisation et monétisation des biens communs, des ressources naturelles, des services publics et même des «mesures vertes» pour «sauver» la planète.

Bientôt nous nous serons littéralement immolé·es, sacrifié·es sur l’autel de l’argent. Nous connaissons le prix de tout et la valeur de rien. L’arrogance aveugle des plus puissant·es les empêche de voir qu’en fin de compte ils et elles sont aussi petit·es que n’importe quelle autre être sur cette magnifique planète, ou d’apprécier les équilibres délicats qui ont évolué au cours des millénaires pour tout garder en vie, ou de comprendre que perturber ces équilibres planétaires, c’est nous condamner tous et toutes, et que l’argent ne nous sauvera pas. C’est la loi du plus fort, encore et toujours, et nous leur avons vendu l’Etat.

Pessimiste, moi? Plutôt réaliste. Mme Dinkel nous informe qu’il y a deux ans elle a envoyé aux membres du Conseil fédéral un livre expliquant l’urgence climatique. De toute évidence, sans aucun résultat. C’est simple, il faut arrêter de jeter des substances nocives dans l’atmosphère, mais on ne peut pas espérer que ce gouvernement pusillanime tente cette expérience. Et on ne peut s’attendre à quoi que ce soit d’une Assemblée nationale dominée par la droite monétisée. Nos cris de désespoir ne seront pas entendus.

Nigel Lindup,
Versoix (GE)

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