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Un monde à la croisée des chemins

René Longet livre ses réflexions sur la montée des dictatures dans le monde et les faiblesses de l’Occident.
Droits humains

La montée des dictatures ne cesse d’inquiéter: Turquie, Hongrie, Egypte, Inde… auxquelles on peut ajouter la Tunisie, le Nicaragua et maints Etats africains. Tous connaissent l’arbitraire, la marginalisation des oppositions, l’alignement des médias, le rejet de la séparation des pouvoirs. Dans d’autres pays, c’est l’éradication de toute contestation, les exécutions, la violence devenue maxime d’Etat: citons ici la Birmanie, l’Afghanistan, la Syrie, la Biélorussie… Enfin, le quarteron des ténèbres: Corée du Nord, Iran, Chine et Russie, de plus en plus solidement alliés.

La Chine a encore démontré, lors de la récente session que le Conseil des droits de l’homme lui a consacrée, son mépris des droits – y compris économiques, sociaux et culturels – des personnes et des peuples. A l’ONU, les émissaires de Xi Jinping détournent le sens des mots en disant que la Chine est parfaitement démocratique puisque ses dirigeants seraient entièrement dévolus au bien du peuple. Ayant rendu dépendants de nombreux pays par des investissements massifs qu’ils peinent à rembourser, la Chine s’y est constituée une arrière-cour docile.

Par ailleurs, la Chine et l’Iran battent tous les records en matière de mises à mort, de répression religieuse et d’arbitraire. Une défaite de l’Ukraine ne fera qu’attiser l’appétit de conquête de Poutine et facilitera à Xi Jinping d’attaquer Taïwan 1>Violette Niquet, Taïwan face à la Chine, Taillandier, Paris 2022., chinoise seulement de 1885 à 18954. Et une victoire de Trump va affaiblir considérablement non seulement l’Accord de Paris mais aussi l’OTAN.

Ayant durant des siècles imposé sa suprématie et regardé le Sud de haut, l’Occident s’y est fait détester et les dictatures y font bonne pêche parmi les populations. En Occident, l’extrême-droite rassemble les partisans de la manière forte; la gauche, par nature ouverte sur la diversité et le monde, peine à se faire entendre à une époque dominée par le repli sur soi. Alors qu’elle est la garante de l’égalité de chances et de droits, de la protection sociale et climatique, du respect par toutes et tous de la dignité humaine, la «cancel culture» ou le «woke» en fournissent une caricature habilement exploitée.

La politique sanitaire a fait décrocher, à travers les médias désormais antisociaux, une partie importante de la population, qui ne fait plus confiance en la science et se jette dans les bras des complotistes et des fake news. Il est assez hallucinant d’entendre de nombreux «antivax» pérorer sur la prétendue dictature que nous subirions en Occident et admirer les vrais dictateurs chinois ou russes… Dans ce contexte, l’extrême-droite séduit bien des victimes de l’incapacité des dirigeants démocratiques à lutter contre les inégalités et à assurer une équité sociale.

Face aux forces centrifuges et au cynisme globalisé, seule une Europe politiquement unie parviendra, en les mettant en commun, à sauvegarder démocratie, Etat de droit et souveraineté; l’impasse du Brexit le souligne bien. Divisés, nous serons la proie d’un monde de moins en moins vivable, où le collapse écologique et celui de la gouvernance vont de pair. Face aux affirmations qu’ils seraient une imposture néocolonialiste, l’universalité des droits humains doit être clairement revendiquée. Enfin il nous faut redoubler d’engagement pour réussir la transition écologique, que l’extrême-droite globale combat de toutes ses forces. Oui, le monde est à la croisée des chemins et il s’agit d’assumer avec fierté nos valeurs de solidarité, de durabilité et de bonne gouvernance, clés du vivre-ensemble sur cette Terre.

Notes[+]

René Longet, ancien élu et expert en durabilité, Genève.

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