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«Pas d’impunité pour les criminels!»

La Suisse aurait dû faire usage de la «compétence universelle» pour arrêter le ministre des Affaires étrangères iraniennes, Hossein Amir-Abdollahian, lors de sa venue à Genève fin février, estime le député genevois Sylvain Thévoz.
Iran

Le chef de la diplomatie iranienne Hossein Amir-Abdollahian était récemment à Genève pour assister à la session officielle du Conseil des droits de l’homme. Hossein Amir-Abdollahian est membre de la milice paramilitaire Bassidj, affiliée au Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran. C’est un fidèle du président actuel, Ebrahim Raisi, surnommé «le bourreau», personnalité sans pitié très appréciée des Gardiens de la révolution, qui n’a cessé d’expurger de ses rangs ses éléments trop «modérés» à son goût, et impliqué directement, selon Amnesty International, dans le massacre de 30 000 prisonniers politiques en 1988.

Le soulèvement populaire de 2022-2023 a été principalement réprimé par des civils armés ou par cette même organisation Bassidj. La cruauté sans pareil des agents du régime iranien y est établie. Plus de 750 personnes ont été tuées pendant ce soulèvement, soit sous la torture soit par balle, et plus de 30 000 personnes arrêtées, torturées, violées, dont certaines se trouvent encore dans les couloirs de la mort du régime.

En 2023, l’opposition iranienne, les Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI), a officiellement enregistré et documenté au moins 864 exécutions. Cette tendance semble s’accélérer, avec 83 exécutions rien qu’en janvier 2024. Tout cela a conduit à une indignation internationale massive. Mais pour quels effets? Et comment est-il possible alors que l’un des membres de cette milice paramilitaire criminelle puisse venir parader à Genève sans craindre d’arrestation?

La Suisse comprend pourtant la compétence universelle. Ce principe se base sur l’idée que certains crimes sont d’une gravité telle qu’ils concernent la communauté internationale dans son ensemble. Par conséquent, chaque Etat a le droit d’exercer sa juridiction pour poursuivre leurs auteurs. Depuis plusieurs années déjà, la Suisse reconnaît et applique le principe de compétence universelle dans son ordre juridique (article 6 du Code pénal, article 7 pour les crimes de guerre).

Comme le rappelait Dick Marty, ancien procureur général et conseiller d’Etat au Tessin, figure internationale de la lutte pour la défense des droits humains, décédé en décembre 2023: «Face à la fragilité persistante de la justice internationale, l’une des armes les plus efficaces pour combattre l’impunité est sans doute le principe de la compétence universelle qui octroie à chaque Etat le droit de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves, indépendamment de l’endroit où ils ont été commis et quelle que soit la nationalité de l’auteur et des victimes.»

Dick Marty rappelait aussi que si les politiciens sont réticents à adopter ce principe et les magistrats timorés à l’idée d’exercer ce pouvoir, il est du devoir de la société civile de faire valoir sa fonction de vigilance et d’alerte lorsque les institutions hésitent ou tardent à mettre en œuvre les principes de justice et d’équité.

Il est prouvé que la compétence universelle contribue à limiter considérablement l’impunité des criminels de guerre et des tortionnaires. C’est un instrument efficace contre l’impunité, car si les criminels n’aiment rien tant que se mêler au ballet des nations et se refaire une virginité sous les ors des palais, il revient au peuple de les dénoncer et aux tribunaux de les poursuivre. C’est pourquoi, des Iraniennes et des Iraniens sont régulièrement sur la place des Nations pour dénoncer les crimes du régime iranien. Ils y étaient encore pour dénoncer la liberté de mouvement du chef de la diplomatie iranienne, Hossein Amir-Abdollahian.

Nous nous tenons à leurs côtés, car face aux crimes, tortures, peines ou traitement cruels, inhumains et dégradants, il appartient à chacune et chacun de secouer les inactions et ébranler les complicités qui permettent à ces crimes de se poursuivre. Il appartient également à chacune et chacun d’inciter les procureurs et tribunaux à sortir de leur étonnant sommeil laissant des criminels de guerre aller et venir sous leurs yeux alors que des voleurs de pommes sont sévèrement embastillés.

Sylvain Thévoz est député socialiste au Grand Conseil de Genève.

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