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Incendie volontaire à la prison de Bienne: un manque d’intérêt qui pose question

Des agents de détention de la prison de Bienne ont-ils commis une faute en ne prêtant pas secours en mai 2021 à une personne détenue lors d’un incendie survenu dans la cellule de sûreté? InfoPrisons a rencontré l’avocate du détenu.
Justice

C’est un cas similaire à celui de Skander Vogt qui s’est produit à la prison régionale de Bienne en mai 2021, comme le rapportait le Journal du Jura en avril 2023.1>Cet article repose sur les information rapportées par le Journal du Jura des 20 et 22 avril 2023: «Incendie à la prison de Bienne: les gardiens ont laissé la porte de la cellule fermée», JdJ, 20.04.23, tinyurl.com/mpcwh8et; «Il avait mis le feu à sa cellule dans la prison régionale de Bienne», JdJ, 22.04.23, tinyurl.com/3e2szaya Pour obtenir certains éclaircissements, nous avons interviewé l’avocate de la personne détenue, Me Kathrin Gruber.

Rappel des faits. Un étranger, Mohamed K., en situation irrégulière avait alors mis le feu à la cellule de sûreté où il avait été placé, menotté, par la police. La cellule de sûreté est la seule cellule où la vidéosurveillance est permise et permanente. Quand il trouve le moyen de mettre le feu au matelas, il est 17h36. Il exhibe alors un lambeau enflammé à la caméra. A 17h43, il met le feu à l’ensemble du matelas. Le feu prend véritablement à 17h48. A 17h49, le personnel se rend compte de l’incendie. A 18h, les pompiers arrivent sur place. Il est déjà très tard: Mohamed K. est grièvement brûlé et passera plusieurs semaines dans le coma.

Sa plainte contre la prison pour lésions corporelles graves par négligence n’a toujours pas abouti, seule la directrice de la prison ayant été entendue jusqu’alors par le Ministère public bernois. En revanche, la procédure dirigée à son encontre pour incendie volontaire a abouti à la confirmation de sa condamnation par la cour suprême cantonale à 9 mois de prison ferme et 20 ans d’expulsion du territoire suisse. Il a fait appel de cette sentence au Tribunal fédéral (TF).

Ce procès a toutefois permis d’entendre trois agents en fonction ce jour-là à la prison expliquer comment il était possible qu’un tel cas se produise. Tous invoquent le règlement intérieur qui interdit d’ouvrir les portes des cellules en cas d’incendie, pour éviter la propagation du sinistre. Ils ont également fait valoir des raisons de sécurité, le détenu étant connu pour son «comportement rebelle».

Kathrin Gruber, quelles convergences et divergences voyez-vous avec le drame de Skander Vogt?

Comme convergence, on doit relever que les deux personnes souffrent d’un trouble mental et devaient dès lors être traitées par les autorités pénitentiaires en conséquence. Le cas de mon client est beaucoup plus choquant encore que le cas de Skander Vogt. Celui-ci voulait se suicider et a agi dans sa cellule non surveillée, durant la nuit, alors qu’il savait qu’il n’y avait personne. On peut reprocher aux autorités de ne pas être intervenues de suite et d’avoir appelé le Dard [l’unité d’intervention d’élite de la gendarmerie vaudoise] avant d’ouvrir la cellule. Le cas de Bienne est plus choquant car mon client ne voulait pas se suicider. Il a agi parce qu’il voulait discuter avec les gardiens au sujet de sa mise au cachot qu’il estimait injuste et voulait ainsi attirer leur attention, sachant qu’il était surveillé par une caméra de surveillance. Il a agi durant les heures de service du personnel et sous la vue de ce dernier qui pouvait et devait dans le cas d’espèce surveiller 24h/24 ce qu’il faisait dans sa cellule. En effet, mon client avait été menotté au préalable dans une cellule forte, ce qui est en principe interdit. Si cela se fait pour protéger la personne, cela implique une surveillance accrue de cette dernière.

Est-ce que la situation personnelle du prévenu, étranger vu comme rebelle, joue un rôle dans le silence autour de son affaire?

Je pense que oui, mais je n’en ai pas la preuve formelle. Tout ce que je sais c’est que les autorités bernoises (Justice et Ministère public) font tout pour pouvoir classer cette affaire. Elles ont condamné sévèrement mon client pour incendie intentionnel pour pouvoir ensuite mieux classer sa plainte. Le Ministère public m’a annoncé son intention de classer la plainte de mon client. Je me suis opposée en demandant une enquête par un magistrat neutre choisi hors canton comme cela a été fait dans l’affaire Skander Vogt. Je n’ai reçu aucune réponse depuis lors.

Notes[+]

Article paru dans le Bulletin Infoprisons no 36, nov. 2023. Lire la version complète de l’interview sous https://infoprisons.ch/le-bulletin/

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