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Le mikado écolo

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Dans le jeu du mikado, qui tire son nom du titre de l’empereur du Japon, les participants doivent extraire, d’un tas désordonné, des baguettes de valeurs variées, une à une, sans faire bouger les autres. La facilité ou la difficulté du jeu dépend de la structure du tas. Si les baguettes sont dispersées, peu superposées, il est facile de les extraire sans dégâts. Si elles sont toutes entremêlées, il est difficile, ou impossible, d’en extraire une sans bousculer les autres.

Au Paléolithique, nos ancêtres chasseurs-cueilleurs étaient dispersés en quelques milliers de très petites populations adaptées, chacune, à un milieu et à des ressources particulières, par une culture, une langue, des techniques et des apprentissages. La diversité des écosystèmes terrestres a multiplié ainsi les modèles de cultures et d’économies de subsistance. Chaque population pouvait se transformer, par l’exploitation de nouvelles ressources ou activités et l’abandon d’autres pratiques. Elle disparaissait si le changement n’était pas viable, sans influence sur les autres, sinon leur offrir une niche écologique vide. La domestication des plantes et des animaux, au Néolithique, puis les «progrès» techniques ont chamboulé ce système en déclenchant une croissance exponentielle des effectifs, avec deux conséquences majeures: la mondialisation par la mise en contact de toutes les populations, et la raréfaction des ressources vitales limitées: territoire, eau, nourritures, ressources vivantes et minérales… Les populations en contact devaient partager, en particulier les territoires. Ce qu’elles firent, selon les cas, de manière pacifique ou guerrière, établissant au passage des relations sociales, par échanges de conjoints, ou bien par rapts de femmes et enfants, selon l’ambiance! C’était aussi l’occasion d’échanger des prestations, par exemple de chasse et de productions agricoles, puis de commercer pour tous les biens disponibles. Ce faisant, les populations devinrent dépendantes les unes des autres, chacune se spécialisant dans les productions qui lui convenaient le mieux. C’était l’ébauche du futur marché capitaliste international, basé sur la croissance indéfinie des productions et la compétition pour la vente par la baisse des coûts. Et, bien sûr, le démarrage d’une spéculation sans scrupules des détenteurs de moyens de production, de financement et d’achat. La spécialisation des économies a transformé le mikado dispersé des populations paléolithiques en un tas unique de composantes interdépendantes enchevêtrées, où il est impossible de modifier ou de retirer un élément sans agiter le tout. Pour changer quoi que ce soit, il faut d’abord provoquer un éboulement qui permette de modifier des éléments isolés. Dans ce système clos et verrouillé par ses interactions, la croissance indéfinie en milieu fini exacerbe les compétitions, les conflits et les guerres. Et nous ne sommes qu’au début du pire de la négation des valeurs humanistes et solidaires au profit de la force et de la violence, devenues conditions de survie ou d’expansion. C’est une situation qui rappelle ce que Denis Duboule, à l’Université de Genève, avait un jour décrit à propos de l’évolution des génomes. Quand une espèce vivante s’adapte à des conditions très particulières, elle multiplie les interactions entre des gènes, jusqu’à un niveau de complexité tel que plus aucun changement n’est possible sans détruire le système concerné. L’espèce, qui ne peut plus évoluer, disparaît alors au premier changement du milieu, ou bien repart à partir de formes simples dépourvues du système spécialisé.

Les mouvements survivalistes et certains écologistes politiques de base rêvent d’un retour au Néolithique ancien, voire au Paléolithique. Ce qui est possible localement, au niveau familial, mais ne risque pas de reconstituer durablement les centaines de civilisations que l’ogre néolithico-capitaliste a dévorées au cours des dix mille dernières années. A moins que l’on ne commence par terrasser ce monstre!

* Chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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