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La télé, la BD et les protéines

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J’avais eu beaucoup de plaisir à préparer une série télévisée sur «L’histoire de la vie» pour TF1 (alors chaîne publique, c’est vous dire si c’est un vieux souvenir!) avec le regretté Pierre Desgraupes. Outre ses compétences remarquables de journaliste, il était célèbre pour certains slogans de principe… et quelques colères patronales. En particulier, il s’emportait si l’on ne travaillait pas pour sa référence téléspectatrice: «La mercière de Bourg-en-Bresse, âgée de 50 ans, qui nous regarde, après le journal de huit heures du soir, en mangeant ses spaghetti.» Bref, l’heure à laquelle était initialement programmée notre série.

Aussi, quand il m’a demandé de préparer une émission sur la génétique, que j’enseignais alors à tous les niveaux universitaires, j’ai renâclé car je n’étais pas certain que la mercière dans ses spaghetti soit prête à entendre parler du code génétique, de la biosynthèse des protéines, des mutations, de la méiose et de la recombinaison, sans lesquels il n’y a pas de génétique. Surtout si, en même temps, la concurrence offrait une comédie sur la chaîne 3 et un match de foot sur la 2! Ce qui me valut une engueulade, comme quoi j’étais nul, que la télé devait savoir expliquer n’importe quoi à n’importe qui, etc.

Devant l’orage, je cédais, en mettant une condition exorbitante: avoir vingt minutes d’animation pour expliquer les choses correctement. Ce qui fut accepté. Moyennant quoi, nous avons compacté trente heures de cours du collège, niveau maturité, en cinquante-six minutes, avec les prestataires d’animation les moins chers de Paris – pas forcément les meilleurs! Mais ils constituaient déjà un public test… Le tout nous valut d’être reprogrammés en fin de soirée, dès la première diffusion. Puis, de multiples fois, entre trois et cinq heures du matin quand TF1, privatisée, décida d’émettre toute la nuit sans avoir les émissions pour. Les insomniaques francophones ont ainsi été formés en génétique, mais pas la mercière, si elle dormait bien!

J’ai repensé à cette vieille histoire pendant ma lecture de La vie, l’amour, la mort & les protéines1>La vie, l’amour, la mort & les protéines, Vivienne Baillie Gerritsen et Aloys Lolo, éd Antipodes, Lausanne, 2023., jolie BD réalisée, pour le dessin, par le génial Aloys Lolo, à partir du projet scientifique de Vivienne Baillie Gerritsen. Un projet encore plus ambitieux que le mien puisque son sujet, c’est les protéines, des molécules chimiques qui font tout dans le vivant, pas seulement la génétique! Alors qu’en mon temps, au vu de l’effet que la biochimie faisait aux étudiant·es, je l’avais glissée sous le tapis, là nous sommes en plein dans son immense complexité, réduite en soixante-quatre pages de format modeste.

Le défi était donc immense: parler de millions de molécules qui interviennent chez des millions d’espèces vivantes, très différentes les unes des autres. Avec des milliers de rôles hétéroclites: de la synthèse de l’ADN à la mue des insectes ou à notre digestion. Pour accompagner le lecteur ou la lectrice et conserver son empathie, les auteurs ont scénarisé leurs relations et leurs efforts réciproques, sans masquer les moments difficiles et les impasses, illustrés par des gags pertinents et des pauses-café imagées. Et l’on sent, par le dessin, que la science, par l’accumulation d’information aride et la difficulté de la comprendre, n’a pas toujours le beau rôle.

Pourtant, tout le monde devrait se passionner pour ce vaste sujet: la vie, l’amour, la mort, dont aucune n’existerait, dont rien ne serait compris sans savoir ce qu’y font… les protéines! Beaucoup de molécules du vivant sont aussi indispensables, mais la plupart dans des rôles passifs. Tandis que beaucoup de protéines sont très actives et pilotent la vie des cellules, des organes, des individus et des populations, quand ce n’est celle des écosystèmes. On peut donc paraphraser Kropotkine qui a écrit que «sans le plaisir, la vie s’arrêterait», en disant que «sans les protéines, la vie n’existerait pas»!

Notes[+]

Chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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