Chroniques

«Bernadette», une réhabilitation féministe

Les écrans au prisme du genre

Si les dialogues de Bernadette1>Film français, 2023, écrit et réalisé par Léa Domenach, coscénariste: Clémence Dargent; avec Catherine Deneuve, Denis Podalydès, Michel Vuillermoz, Sara Giraudeau, Laurent Stocker, Maud Wyler. sont en partie fictionnels, la plupart des situations représentées dans ce biopic sur Bernadette Chirac pendant la présidence de son mari sont quasi directement démarquées de l’excellent documentaire de Valentin Mollette et Basile Roze, La Revanche de Bernadette. La réalisatrice Léa Domenach, dont c’est le premier film, ne cache d’ailleurs pas que c’est ce documentaire l’a inspirée.

Pour elle, comme pour la plupart des spectateur·trices de ma génération et de la sienne, le souvenir qu’on gardait du «règne» de Madame Chirac se réduisait aux «pièces jaunes» et à la caricature particulièrement cruelle des «Guignols». On peut dire que ce biopic est une réhabilitation féministe de cette femme politique, longtemps restée, contrainte et forcée, dans l’ombre écrasante et méprisante de son mari, et dont on découvre avec ces deux films (le documentaire et la fiction) qu’elle a réussi à renverser le rapport de forces qui lui avait été imposé par Chirac et son entourage jusqu’au milieu du premier mandat du président (le dernier septennat de la Ve République, marqué par la dissolution ratée de 1997).

La fiction, qui ne couvre que la période des deux mandats présidentiels [de 1995 à 2007], est une charge jubilatoire contre la domination patriarcale et masculine telle qu’elle s’exerce au plus haut niveau du pouvoir politique – on retrouve à peu près les mêmes ingrédients dans le microcosme Macron. Le film charge particulièrement Jacques Chirac (Michel Vuillermoz) et son boy’s club mené par Dominique de Villepin (François Vincentelli) dont la morgue n’a d’égale que la misogynie et l’incompétence (on est loin de l’image flatteuse que Villepin promène dans les médias depuis son discours en 2003 à l’ONU contre la guerre en Irak). Seule Claude Chirac (Sara Giraudeau), [la cadette du couple présidentiel] qui cultive son androgynie, fait partie de ce premier cercle.

Mais c’est aussi et surtout l’histoire d’une émancipation féminine, qui a le grand mérite de mettre en valeur la diversité des formes que peut prendre cette émancipation, y compris dans les milieux de droite. Catherine Deneuve incarne magistralement cette femme issue de la noblesse du Second Empire, d’abord corsetée par les principes de son milieu: discrétion, dévouement, maîtrise de soi en dépit des humiliations publiques et privées, en particulier les infidélités à répétition de son mari au vu et au su de tout le personnel de l’Elysée et des médias. Puis, avec l’aide de Bernard Niquet2>Officiellement conseiller technique à la présidence de la République, il faisait office de directeur de cabinet de Bernadette Chirac. (Denis Podalydès), un homme lui-même dominé, surnommé Mickey dans les couloirs de l’Elysée (on comprend que Claude Chirac l’a chargé de s’occuper de l’image médiatique de sa mère parce qu’elle le considère incapable), Bernadette Chirac va effectivement parvenir à changer son image et devenir de plus en plus populaire, au fur et à mesure que son mari suit le trajet inverse. Mais cette mue n’a rien d’un conte de fées: c’est parce qu’elle est une élue de terrain en Corrèze depuis les années 1970 qu’elle sait comment s’adresser à ses concitoyen·nes, sans démagogie ni cynisme, contrairement à Chirac dont on sait qu’il était orfèvre en la matière.

Dès le départ le ton de la comédie est donné par un avertissement chanté par une chorale installée dans les champs, sur des airs qui rappellent furieusement les chœurs pratiqués dans l’Eglise catholique, et qui reviendra à intervalles réguliers. Le film parvient à nous faire rire avec Bernadette et non pas contre elle, comme le faisait l’émission «Les Guignols». Et le rire n’empêche pas l’empathie, en particulier dans les scènes avec Laurence (Maud Wyler), leur fille souffrant d’anorexie mentale, qui restera cachée du grand public.

Les relations avec Claude, devenue conseillère en communication de son père, sont certes montrées comme difficiles, mais de façon non manichéenne. Il ne s’agit d’opposer deux femmes, la mère et la fille, la traditionnelle et la moderne, mais de montrer comment la domination masculine s’exerce aussi à l’intérieur de la famille, aux dépens des femmes qui en sont à la fois et tour à tour les instruments et les victimes.

La réalisatrice a privilégié l’incarnation plutôt que l’imitation et, passée la première surprise en découvrant Catherine Deneuve et Michel Vuillermoz dans les rôles de Bernadette et Jacques Chirac, le jeu de ces deux grands acteur et actrice nous embarque dans leurs personnages plus vrais que nature. La force du film est aussi de mettre en évidence la perspicacité politique de Bernadette – elle avait tenté de mettre son mari en garde son mari contre la dissolution de 1997, puis contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle en 2002 –, ce qui fait d’elle la première – et la seule à ce jour – épouse de président à avoir assumé un rôle véritablement politique, y compris en se faisant élire et réélire régulièrement en Corrèze.

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Geneviève Sellier est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

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mercredi 27 novembre 2019

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