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Vers une société d’intolérance?

L’auteur de la réflexion qui suit, écrite sous pseudonyme, réagit aux images et aux discours racistes qui, dans la course aux élections fédérales, ont émaillé les campagnes bâties sur le thème de l’immigration – une «diabolisation de l’altérité», d’autant plus nocive qu’elle émane «d’un parti qui a pignon sur rue».
Suisse

Les mots et les images ont un sens. La campagne électorale suisse comporte en son sein un cadavre exhumé d’un temps désastreux à l’idéologie piteuse. Alors que l’économie bat de l’aile, certains partis évitent le sujet pour faire de l’immigration un thème crucial et nauséabond. Ces politiciens et politiciennes n’hésitent pas à recourir au cynique héritage de la propagande raciste d’antan. Leurs affiches rappellent celles du national-socialisme de par une idéalisation de la démographie parfaite pour le pays et la diabolisation de l’altérité. La sociologue québécoise Maryse Potvin dit à ce sujet: «Certains effets de ces techniques, étudiés en psychologie sociale, sont attribuables aux procédés utilisés par les médias (agenda setting, framing, priming). D’autres sont plutôt liés à l’instrumentalisation et à la manipulation du sens, des représentations sociales et des mécanismes sociocognitifs du racisme dont les groupes font un usage stratégique, tels que: la dichotomisation Nous-Eux, la généralisation, l’infériorisation et la diabolisation de l’Autre, la victimisation de soi groupal, le catastrophisme, le désir d’expulsion ou d’élimination de l’Autre et l’appel à la légitimation politique ou au combat.» 1> M. Potvin, Discours racistes et propagande haineuse. Trois groupes populistes identitaires au Québec, erudit.org, doi.org/10.7202/1047977ar

Un tel discours, plein d’insinuations nocives de la part d’un parti politique ayant pignon sur rue, prédispose à une société d’intolérance – visible ou invisible. Alors qu’il existe en Suisse une norme pénale antiraciste qui semble inefficace, ou que le Ministère public semble incapable d’enclencher, parce que la norme demeure ambiguë dans la condamnation des faits racistes, ou encore parce que les juges n’ont pas le courage d’affronter cette pensée nauséeuse que certains distillent dans les esprits 2> J. Eigenmann, «Et si la norme pénale antiraciste n’était là que pour faire joli, pas pour condamner?», Heidi.news, 31.01.2023. .

Dans une démocratie consciencieuse et raisonnable, le constat de l’existence d’une propagande aussi pathétique lors d’élections nuit à la qualité même de cette démocratie, dans la mesure où le concept «démocratie» est porteur d’une signification spécifique dont l’énonciation et la matérialité reflètent la qualité. Ce discours raciste qui prolifère n’est pas seulement un cancer qui ronge le prestige politique de la Suisse, il promeut aussi la haine de la différence. Ses conséquences s’additionnent à la multitude de préjugés dont souffrent déjà les Noir·es, jusqu’à atteindre les institutions publiques et privées, et plongent le pays tout entier dans des sophismes administratifs et légaux, nuisibles aux étranger·ères et à la cohabitation intercommunautaire. 3> «Les discours de haine sont un danger pour la démocratie», entretien avec F. Tulkens, ancienne juge et vice-présidente de la CEDH, Tangram 43, admin.ch, 2019.

L’immigration est une question complexe que le vote seul ne saurait régler. C’est de la pure malhonnêteté que de poser sa résolution en ces termes, quand on sait qu’il existe des engagements internationaux, auxquels ont souscrit les gouvernements, qui n’autorisent pas les politicien·nes à agir de n’importe quelle façon sur la question, quoiqu’elle nécessite une urgente résolution. Les causes qui, en amont et en aval, favorisent l’immigration doivent être traitées en toute sincérité entre les pays, loin des effets de masse que peuvent susciter les harangues de politicien·nes prônant la facilité, et qui ne parviennent pas à gérer la question dès que les rênes du pouvoir leur sont confiées. 4> «Italie: Giorgia Meloni admet qu’elle espérait faire ‘mieux’ en matière d’immigration», lemonde.fr, 24.09.2023.

L’instrumentalisation de l’immigration aux élections est une stigmatisation de l’altérité, voire une délégitimation de sa présence, perçue comme la source de tous les maux. La redondance de cette rhétorique moribonde et abjecte peut inspirer et générer de dangereuses répercussions, comme cela a été vécu ailleurs, pour les Noir·es en Suisse, qu’ils ou elles soient suisses, en situation de séjour régulière ou sans permis. L’auteur moral d’un tel danger, s’il advenait un jour, est connu.

Notes[+]

* Nom connu de la rédaction.

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