Chroniques

De nombreux obstacles juridiques

Droits des personnes travailleuses du sexe

Si, en Suisse, la prostitution est légale et n’est plus considérée comme contraire aux mœurs par le Tribunal fédéral, elle fait toutefois l’objet d’un traitement juridique particulier. Le système réglementariste helvétique est tel que les cantons sont compétents pour réglementer cette activité sur leur territoire, notamment en termes de lieux et d’heures. Ces règlementations, lorsqu’elles existent, sont disparates, ce qui représente un défi pour les personnes travailleuses du sexe se déplaçant à travers les frontières cantonales.

La Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables est un enseignement de master de la Faculté de droit de l’université de Genève qui, depuis dix ans, informe les personnes en situation de vulnérabilité juridique de leurs droits. En 2021, elle a été approchée par ProCoRe, réseau national de défense des intérêts des personnes travailleuses du sexe, afin d’éclaircir les droits des personnes exerçant cette activité encore taboue en Suisse. Seize étudiantes se sont alors lancées dans des recherches juridiques approfondies afin de déterminer les conditions d’exercice du travail du sexe, qui varient selon les cantons – un travail rigoureux et de longue haleine qui sera publié sous la forme d’un guide d’information juridique à destination des personnes concernées 1> Le guide sera verni le 26 mars 2024 lors d’une conférence à l’Université de Genève. Informations à venir sur www.unige.ch/droit/lawclinic/ .

Il en ressort que certains cantons, dont Genève, conditionnent par exemple l’exercice du travail du sexe à une annonce auprès de la police alors que d’autres, comme Berne, n’ont pas cette exigence. Par ailleurs, si les cantons limitent les lieux du travail du sexe de rue, certains se montrent particulièrement restrictifs, parfois en violation du droit supérieur. Tel est le cas de Neuchâtel qui interdit la prostitution de rue sur l’ensemble de son territoire, de façon contraire à la liberté économique protégée par la Constitution.

Ceci n’est qu’une illustration des nombreux obstacles juridiques auxquels font face les personnes travailleuses du sexe. Et là est le cœur des deux chroniques rédigées par les étudiantes de la Law Clinic qui paraîtront prochainement dans ces pages. Au regard de l’évolution du périmètre alloué à la prostitution de rue dans le quartier des Tranchées à Genève, la première chronique montre une tendance des autorités à reléguer cette activité dans un espace toujours plus réduit. La seconde met en lumière les difficultés que rencontrent les personnes concernées dans l’accès aux soins de santé.

En toile de fond de ces chroniques, c’est le constat d’une certaine stigmatisation du travail du sexe qui est fait. Ceci avait été démontré par les étudiantes lors de la conférence de présentation de leurs résultats de recherches en avril 2023 2> La conférence peut être visionnée sur www.unige.ch/droit/lawclinic/fr/evenements/law-clinic/2023/tds . La stigmatisation institutionnelle participe à la précarisation des personnes travailleuses du sexe dans leur profession et au-delà.

A cet égard, le spectre de la pénalisation des clients, qui se profile de longue date dans les débats sociaux et politico-juridiques, peut préoccuper. Et pour cause, ce modèle dit «suédois», adopté par la France, a pour effet (documenté par la recherche scientifique) de pousser les personnes travailleuses du sexe à la clandestinité, l’isolement et la violence.

C’est pourquoi il est essentiel que la protection des droits humains des personnes concernées demeure au centre des réflexions sur l’appréhension juridique du travail du sexe. La Cour européenne des droits de l’homme sera d’ailleurs amenée à se prononcer prochainement sur le système français dans le cadre de l’affaire «M.A. et autres c. France».

Notes[+]

* Vista ESKANDARI, Quentin MARKARIAN et Camille MONTAVON, coresponsables de la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables.

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