Chroniques

«Vivre en paix et élever nos enfants dans la sécurité»

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Comment la situation qui prévaut dans les trois Etats sahéliens que sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger est-elle perçue depuis la Côte d’Ivoire voisine? La rupture consommée avec la France de la part de ces trois pays en proie à des attaques djihadistes meurtrières, suscite, vue d’Abidjan, des réactions contrastées.

«Lorsque je vois ce qui se passe dans le Sahel, cela me fait très peur; car ici en Côte d’Ivoire, nous ne voulons plus de guerre, ni de militaires au pouvoir, cela ne donne jamais rien de bon», explique cette mère de famille, qui, comme les autres personnes citées dans cette chronique, préfère conserver l’anonymat. Elle se rappelle avec effroi des années de guerre civile qui ont vu son pays s’embraser, des cadavres joncher les rues, des balles siffler aux oreilles de celles et ceux qui tentaient d’aller chercher de quoi manger. «Plus jamais ça, implore-t-elle. Nous voulons seulement vivre et travailler en paix, et élever nos enfants dans la sécurité.» Elle cite sa fille cadette de 6 ans qui, en voyant à la télévision des images de ce qui se passe actuellement au Proche-Orient, lui a dit: «Oh maman, quelle chance nous avons d’habiter ici.» Sa mère a préféré ne pas lui dire qu’Abidjan, il n’y a pas si longtemps, avait ressemblé à une ville en état de siège.

Plus politique, cet informaticien d’une cinquantaine d’années estime que, selon lui, c’est la Côte d’Ivoire sous le président Laurent Gbagbo qui, la première dans la sous-région, avait tenté de desserrer l’étau de la France sur son pays. «Gbagbo a ensuite été ‘déporté’ durant une dizaine d’années à la Cour pénale internationale1>Inculpé en novembre 2011 par la CPI pour crimes contre l’humanité, l’ancien président ivoirien a été incarcéré préventivement pendant sept ans au centre de détention de la Cour à La Haye, aux Pays-Bas, avant d’être libéré sous assignation à résidence en février 2019, puis définitivement acquitté en mars 2021., il y a eu des milliers de morts, chaque famille a vécu des drames provoquant une sorte de traumatisme national qui imprime l’inconscient collectif», dit-il. Il reste persuadé que la France va tout tenter pour garder ses prérogatives dans son pré carré et que les jeunes militaires putschistes au Mali, au Burkina Faso et au Niger sont menacés. «La France a tellement d’intérêts ici, elle ne va jamais nous lâcher, ni nous permettre de reprendre le contrôle de notre souveraineté», soutient-il.

D’autres en revanche en ont assez d’entendre en permanence la France montrée du doigt, comme seule responsable des problèmes que connaît le continent. «Nous connaissons tous notre part de responsabilité dans notre situation actuelle. Si nos dirigeants n’avaient pas eux-mêmes pillé nos pays d’une manière aussi éhontée, nous n’en serions pas là», tempête ce retraité, qui énumère volontiers des exemples de détournements de fonds colossaux, dont il assure avoir connaissance. Autre son de cloche encore de la part d’une enseignante à l’université d’Abidjan qui, elle, condamne l’instrumentalisation qui est faite de tous ces «jeunes désœuvrés, qui s’empressent d’aller insulter la France au micro des radios et télévisions étrangères, mais ne rêvent que d’y aller». Et d’ajouter: «Ils donnent une mauvaise image de la jeunesse; mes étudiants n’ont pas du tout ce discours à l’emporte-pièce et apprécient de pouvoir poursuivre leur formation à l’étranger, en France ou ailleurs en Europe.»

Un parallèle avec le «non» de la Guinée à la France en 1958? Le retrait brutal de la France au Mali, au Burkina Faso et au Niger rappelle à cet ex-responsable politique ivoirien le «non» que le président guinéen Sékou Touré avait lancé en 1958 au général de Gaulle qui proposait, en guise d’indépendance, une «communauté franco-africaine». «Ce ‘non’ à la France a plongé la Guinée dans d’immenses difficultés, estime-t-il, craignant qu’après leur ‘non’ à Paris, ses voisins ne sombrent à leur tour, comme la Guinée il y a 65 ans. «Nous, en Côte d’Ivoire, allons continuer à collaborer avec la France pour nous développer, et on verra ensuite quel fut le meilleur choix.»

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Catherine Morand est journaliste.

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lundi 8 janvier 2018

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