D’Atatürk à Recep Tayyip Erdogan
Ce 29 octobre, la Turquie célèbre le centenaire de la République proclamée par Mustafa Kemal Atatürk après l’effondrement de l’Empire ottoman et la guerre d’indépendance (1919-1923) contre les puissances occidentales. Ce tournant républicain précéda l’édification ambitieuse et volontariste d’un Etat moderne, ainsi que de nombreuses réformes destinées à transformer en profondeur une société essentiellement rurale et très attachée à ses traditions. Au fil des décennies, le pays a gagné ses galons de puissance régionale, membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et candidate à l’adhésion à l’Union européenne. Désormais, au Proche-Orient comme en Europe, en Asie ou en Afrique, la Turquie est un acteur qui compte.
Comment prendre la mesure de cette puissance à l’heure où les guerres en Syrie et en Ukraine rebattent les cartes géopolitiques et où les crises à répétition, politiques ou économiques, obligent Ankara à naviguer à vue? Et comment la société turque a-t-elle évolué au terme d’un siècle où l’héritage laïque et émancipateur d’Atatürk, le «père des Turcs», comme il fut officiellement nommé par le Parlement en 1934, paraît menacé depuis l’arrivée au pouvoir en 2002 des islamo-conservateurs du Parti de la justice et du développement (AKP)?
Illustrée par des œuvres et dessins de presse d’artistes turcs, charpentée par des cartes, des infographies et une chronologie, la dernière livraison de Manière de voir1>«1923-2023. Le siècle turc », Manière de voir, no 191, oct.-nov. 2023, bimestriel édité par Le Monde diplomatique, https://boutique-vpc.monde-diplomatique.fr éclaire ces questions, et bien d’autres. Elle examine tout d’abord les contradictions d’une modernisation au pas de charge, telle l’omniprésence de l’armée dans le jeu politique, dont témoignent le coup d’Etat de 1980 et l’implacable répression qui s’ensuivit, notamment contre les forces de gauche. Autre contradiction, la République n’a jamais trouvé de solution pacifique aux revendications autonomistes kurdes. Comme en 1923, la Turquie contemporaine doit affronter cette «question kurde», qui alimente les surenchères d’une droite ultranationaliste avec laquelle le président Recep Tayyip Erdogan ne craint pas de nouer des alliances électorales.
Une deuxième partie interroge la place de ce pays dans le concert des nations. Après avoir longtemps prôné la politique du «zéro problème» avec ses voisins, Ankara multiple les bras de fer. Sa volonté de projection militaire au-delà de ses frontières et ses ambitions économiques provoquent des tensions récurrentes avec les Etats-Unis, l’Union européenne, l’Iran, mais aussi plusieurs pays arabes. La Russie, elle, est à la fois partenaire et rivale, en Libye, en Syrie ou dans le Caucase.
Enfin, un troisième chapitre analyse les divisions de la société turque. Répression des oppositions, violences à l’encontre des minorités, poids de la tradition patriarcale et de la religion: les objets de conflits ne manquent pas. Mais l’autoritarisme accru et le verrouillage de la vie politique n’empêchent pas l’émergence de mouvements contestataires, qui s’expriment dans la rue, sur les scènes de théâtre ou dans les salles de concert, comme le montrent plusieurs articles et reportages.
Notes