«J’appelle l’ensemble des acteurs politiques à la retenue et à la plus grande prudence dans l’analyse de la situation. J’appelle aussi l’ensemble des acteurs médiatiques à cette même rigueur et à cette même retenue.» Le 27 octobre 2023 – trois semaines après les attentats du Hamas, alors que les représailles d’Israël ont déjà fait des milliers de morts à Gaza –, M. Jean-Marie Burguburu, président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), juge nécessaire de procéder à une mise au point écrite sur la hausse des actes antisémites constatés en France et sur les commentaires que cette recrudescence commence à inspirer. Dans les mois qui suivent la mise en garde, à l’évidence, ni le calme ni le discernement ne prévalent: les soutiens de la cause palestinienne se voient reprocher par leurs adversaires politiques et par leurs contempteurs éditoriaux d’avoir inspiré le viol d’une enfant juive à Courbevoie ou l’incendie devant une synagogue à La Grande-Motte.
Pour mettre en perspective ces instrumentalisations, la nouvelle livraison de Manière de voir1>«L’antisémitisme et ses instrumentalisations», Manière de voir no 199, février-mars 2025, bimestriel édité par Le Monde diplomatique. consacre son premier chapitre à l’histoire longue de la haine antijuive. Dans le monde chrétien comme en terre d’islam, sous maintes formes, les Juifs connaissent l’oppression depuis près de deux mille ans. Mais on ne saurait l’universaliser ni en faire une constante. Les persécutions se sont toujours rapportées à un contexte. Au XIXe siècle, explique l’historien Henry Laurens, l’antisémitisme fait ainsi converger «l’antijudaïsme traditionnel (…), le malaise des chrétiens devant l’affirmation de la société laïque, l’émergence des nationalismes et la généralisation de l’interprétation raciale de l’histoire2>Henry Laurens, La Question de Palestine. Tome premier. 1799-1922. L’invention de la Terre sainte, Fayard, Paris, 1999.».
L’antisionisme représenterait aujourd’hui «la forme réinventée de l’antisémitisme», déclarait M. Emmanuel Macron peu de temps après son élection à la présidence de la République en 2017. Désormais largement acceptée en Occident, cette équivalence ne correspond nullement à une règle absolue. La deuxième partie rappelle que, si l’antisémitisme est assimilable à un racisme, l’antisionisme peut représenter la critique légitime du fondement religieux voire suprémaciste d’un Etat, Israël. Lequel fait tout pour entretenir la confusion à son profit, surtout quand ses dirigeants sont accusés de génocide.
Le dernier chapitre montre comment l’attaque du Hamas – dont des centaines de civils israéliens ont été victimes – a permis aux partisans de M. Benyamin Netanyahou de métamorphoser tous les défenseurs de la Palestine en autant d’apologistes du terrorisme. Simultanément, une extrême droite contre laquelle se formait spontanément un cordon sanitaire, un «vote utile», a été blanchie de ses forfaits et de ses références passées au motif qu’elle défendait Israël. Ces deux développements favorisent l’ancrage à droite de l’Occident.
Notes