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Les Afghanes et les autres…

La situation des femmes afghanes – gommées de la vie publique par le régime taliban – est sans commune mesure. Ce qui ne doit toutefois pas faire oublier qu’en Occident, Suisse comprise, l’égalité reste à conquérir, relève Huguette Junod.
Droits des femmes

J’ai certes déjà parlé des Afghanes, mais il faut bien y revenir…

Pour fêter le deuxième anniversaire de leur prise de pouvoir, les talibans ont encore donné un tour de vis à l’oppression des femmes: ils ont fermé tous les salons de beauté d’Afghanistan, le dernier endroit où les femmes pouvaient se retrouver, converser…

Les Afghanes n’ont pas accès à l’enseignement supérieur, elles ne peuvent pas quitter la maison sans un chaperon masculin, ni travailler, sauf dans le secteur de la santé et dans certaines entreprises privées; les parcs, les salles de sport, désormais les salons de beauté, leur sont interdits.

Le régime taliban a une obsession: éradiquer les femmes de la sphère publique et les enfermer à la maison.

Les institutions de défense des droits de la femme en Afghanistan ont été démantelées. Sur les quelque 80 décrets promulgués par les talibans, 54 ciblent les femmes, restreignant gravement leurs droits. Les résultats de leurs ambitions misogynes sont catastrophiques. L’Afghanistan est confronté à l’une des pires crises humanitaires du monde. Environ 19 millions de personnes, sur 40 que compte le pays, souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, tandis que plus de 90% la ressentent sous une forme ou une autre, les ménages dont la cheffe de famille est une femme étant naturellement les plus touchés.

La violence envers les femmes a augmenté de façon exponentielle, avec à la clé une impunité pour les auteurs et un manque de soutien pour les victimes. On peut parler d’apartheid de genre.

L’Afghanistan apparaît comme une caricature de «la haine du c…», comme disait Benoîte Groult dans Ainsi soit-elle. La haine des femmes est en œuvre dans tous les pays du monde. Même si la société a évolué, même si l’égalité des droits fait partie de la majorité des démocraties, il reste partout un fond de misogynie qui empoisonne l’existence, comme sur les réseaux sociaux. Elle existe encore dans les universités, les entreprises, les parlements.

On peut rappeler ce qui se passait dans les amphithéâtres quand les premières femmes s’inscrivirent en faculté de médecine, il y a un siècle, ou dans les législatifs quand furent élues les premières députées, et se dire qu’en Occident au moins, ces temps sont révolus. Hélas non! La misogynie perdure. Le plafond de verre persiste. Les attaques contre le droit à l’avortement, c’est-à-dire celui de maîtriser son destin, ont lieu dans de nombreux pays, dont les Etats-Unis. Or les restrictions en matière d’avortement ont pour conséquence une augmentation du taux de mortalité maternelle et infantile.

Qu’en est-il en Suisse, ce pays dont le fonctionnement démocratique semble exemplaire? La Suisse est au 44e rang mondial pour la part de femmes cadres dans les entreprises, avec une proportion de 33%. Les femmes occupent environ 20% des postes de professeur·e, alors qu’elles sont plus nombreuses que les hommes à entreprendre des études. A part quelques rares exceptions, qui ne durent généralement pas, elles sont minoritaires dans les législatifs et les exécutifs. Après la grève féministe du 14 juin 2019, il y eut une vague violette au National, qui compta 42% de femmes, et 26% aux Etats.

A ce propos, Céline Vara, sénatrice verte de Neuchâtel depuis 2019, expliquait, dans l’émission Mise au point du 20 août, qu’au début de l’actuelle législature, au moment où une femme y prenait la parole, des hommes sortaient boire un verre! En Suisse, en 2019! Pour les élections nationales d’octobre prochain, le canton de Vaud ne présente aucune candidate aux Etats, tous partis confondus, malgré la qualité des politiciennes. L’image ainsi donnée aux fillettes sera catastrophique: elles penseront que la politique n’est pas pour elles. Il y aura vraisemblablement un reflux en 2023. Géraldine Savary parle de «ras-le-bol» des hommes envers les revendications féministes. Comme si l’égalité n’était plus un problème.

En fait, dans l’inconscient collectif, on n’accepte pas que les femmes sortent de la maison et occupent l’espace public. Partout, pas seulement en Afghanistan.

Huguette Junod est écrivaine, de Perly (GE).

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