L’administration doit exécuter les décisions de justice
Mardi 18 juillet, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que la Belgique avait violé l’article 6 de la Convention qui garantit le droit à un procès équitable pour ne pas avoir exécuté une décision judiciaire qui astreignait l’Etat belge à accorder une assistance matérielle et un hébergement à un requérant d’asile d’origine guinéenne. 1> Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 18 juillet 2023 dans la cause Abdoulaye Camara c. Belgique (2e section).
Le requérant, né en 2001, est arrivé le 12 juillet 2022 sur le territoire belge. Trois jours plus tard, il s’est présenté au centre d’arrivée des demandeurs de protection internationale, où il introduisit une demande de protection. Le même jour, il se présenta à l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil) en vue d’obtenir une place dans le réseau d’accueil.
Il fut alors informé qu’il ne pourrait recevoir de place en raison de la saturation du réseau d’accueil. Après vaine mise en demeure, le requérant saisit le 20 juillet 2022 la Présidente du tribunal de travail francophone de Bruxelles, invoquant le risque imminent d’atteinte grave et irréversible à sa dignité humaine du fait qu’il se trouvait sans solution d’hébergement et dans une situation de dénuement total.
Le 22 juillet 2022, cette magistrate ordonna à Fedasil d’assurer l’hébergement du requérant dans un centre d’accueil, voire dans un hôtel ou tout autre établissement adapté à défaut de place disponible. Fedasil ne se conforma pas à cette ordonnance. Le 20 octobre 2022, le requérant saisit la Cour européenne d’une demande de mesure provisoire afin qu’il soit enjoint au Gouvernement belge de lui fournir un hébergement d’urgence et de lui permettre de faire face à ses besoins élémentaires.
La Cour adopta cette mesure provisoire le 31 octobre 2022 et, le 4 novembre 2022, le requérant put enfin intégrer un centre de la Croix-Rouge. Entre le 15 juillet 2022 et le 4 novembre 2022, le requérant a dormi près d’une gare ou dans des parcs, soit sur un matelas de fortune que les associations lui avaient fourni, soit sur des cartons après que le matelas eut disparu de l’endroit où il l’avait laissé.
Alors qu’il dormait, il s’est fait voler son sac qui contenait des documents qu’il souhaitait utiliser dans le cadre de sa demande de protection internationale. Il n’a eu accès à une douche qu’une fois par semaine et n’a pu se nourrir, une fois par jour, que grâce à l’action des associations humanitaires ou en fouillant dans les poubelles.
La cour rappelle que le droit à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un Etat permettait qu’une décision judiciaire définitive et exécutoire reste inopérante au détriment d’une partie. L’exécution d’une décision de justice doit ainsi être considérée comme faisant partie intégrante de la notion de procès visé par cette disposition.
Elle souligne aussi qu’une autorité de l’Etat ne peut prétexter du manque de fonds ou d’autres ressources pour ne pas honorer une dette fondée sur une décision de justice. Enfin, un délai d’exécution déraisonnablement long d’un jugement obligatoire peut emporter violation de la Convention.
En l’occurrence, la cour constate une carence systémique des autorités belges d’exécuter les décisions de justice relatives à l’accueil des demandeurs de protection internationale. Même si la cour se dit consciente de la situation difficile à laquelle était confronté l’Etat belge en raison de la pression migratoire, à laquelle s’est ajoutée la venue de 65 000 ressortissants ukrainiens, le délai mis à exécuter la décision de la magistrate bruxelloise ne saurait être considéré comme raisonnable, d’autant que le requérant s’est vu contraint de saisir la Cour pour la faire exécuter. Aux yeux de la Cour, il ne s’agissait pas d’un simple retard, mais plutôt d’un refus caractérisé de se conformer aux injonctions du juge interne qui a porté atteinte à la substance du droit protégé par l’article 6 de la Convention.
L’Etat ne saurait ainsi se retrancher derrière des considérations organisationnelles ou budgétaires pour se soustraire à ses obligations en matière de respect des droits humains.
Notes
*Avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.