Après la «rébellion» Wagner… et l’Afrique?
«A l’instar de ce qui s’est passé samedi dernier en Russie, qu’est-ce qui empêcherait les hommes de Wagner de prendre le contrôle d’une région entière du Mali et d’en interdire l’accès à l’Etat malien?» Dans un éditorial au vitriol publié sur le site d’information guinéen Le Djély, le journaliste Boubacar Sanson Barry revient longuement sur la «rébellion» avortée d’Evgueni Prigojine, en espérant que cela servira de leçon pour certains dirigeants africains. Lesquels, en misant sur Wagner, «se sont associés à un partenaire peu fiable», estime-t-il. «La rébellion de Wagner doit les inciter à revenir à la raison», lance-t-il, tout en regrettant que le Mali, la Centrafrique et d’autres pays aient «sacrifié toutes leurs autres relations diplomatiques au profit d’un mariage exclusif avec la Russie». Et en les encourageant à réaliser «à quel point leur nouvel ami et protecteur supposé est lui-même vulnérable».
Même son de cloche, inquiet, sur le site togolais IciLome.com: «On est en droit de se demander si une armée nationale africaine pourrait faire face aux mercenaires de Wagner», demande ainsi le journaliste Kossi Koné. Tout en relevant que même s’ils se déroulent à des milliers de kilomètres du continent africain, les événements qui ont tenu en haleine le monde entier ce 24 juin «doivent logiquement amener les Etats qui ont recours à Wagner à revoir leurs approches sécuritaires». Comme le relève encore le journaliste guinéen Boubacar Sanson Barry, «il y avait quelque chose de surfait dans l’image que l’on a toujours vendu de Poutine». Avant de se demander, perplexe, comment une puissance qui ne peut même pas se défendre d’une milice qu’elle a elle-même créée pourrait défendre un autre pays.
Face à ces interrogations, jusqu’au plus haut niveau des Etats, et au regard de l’importance du rôle que joue désormais Wagner dans plusieurs pays africains, le chef de la diplomatie russe Serguei Lavrov s’est empressé, lundi, de déclarer que le «travail d’instructeurs» mené par le groupe paramilitaire russe allait continuer, notamment au Mali et en République centrafricaine. Selon lui, rien ne devrait changer dans les relations entre la Russie et les pays africains, convoqués à un deuxième sommet du «Forum économique et humanitaire Russie-Afrique pour la paix, la sécurité et le développement» les 27 et 28 juillet prochains à Saint-Pétersbourg. Il semble en effet peu probable, pour l’heure, que les événements du 24 juin remettent en question la présence de la Russie sur le continent africain, où Moscou a engrangé depuis plus d’une décennie d’importants succès aussi bien sur les plans diplomatique, économique que politique. Mais sous quelle forme?
C’est qu’un conflit de loyauté pourrait rapidement se poser aux dirigeants qui ont recours au groupe Wagner, si les rapports de force tardent à se clarifier entre Vladimir Poutine et Evgueni Prigojine. Ce dernier, actuellement exilé en Biélorussie, va-t-il continuer à piloter son armée de mercenaires? Ou cette milice sera-t-elle dissoute? L’armée régulière de Vladimir Poutine va-t-elle reprendre la main sur ces hommes déployés en Afrique, lesquels poursuivent actuellement leurs activités sécuritaires, de propagande, ainsi que de prédation des ressources minières, or, diamants, bois?
Des questions brûlantes vues de Bangui, capitale de la République centrafricaine, où les hommes de Wagner assurent aussi la protection rapprochée du président Touadéra, réélu en 2020 grâce à leur soutien. Idem au Mali, où ceux-ci se sont immiscés jusqu’au cœur du pouvoir militaire en place. Et constituent une sorte de garde prétorienne veillant à empêcher un nouveau coup d’Etat. Sur le site d’information Cameroun Actuel, un article relève encore qu’en osant défier Vladimir Poutine, «le groupe paramilitaire a montré qu’il est captable de tenter de renverser n’importe quel président». De quoi en effrayer plus d’un sur le continent africain.