«Parler de décroissance sans analyse est trop facile»
Dans l’édition du Courrier du 16 juin, Karel Bosco nous explique avec verve que construire la ville en ville serait une «incohérence des Verts genevois» et, partant, une infidélité au rapport «Meadows» sur les limites de la croissance. Avec superficialité, il surfe ainsi sur le discours conservateur bien rodé que construire du logement – et pire, du logement social! – serait un bétonnage abusif de notre canton. C’est l’occasion de revenir sur les incohérences sociales et écologiques des opposants à la ville des courtes distances.
Tout d’abord, les valeurs. Comme élu écologiste et de gauche, je le dis très clairement: personne n’est en trop à Genève. Je rejette avec force les thèses néomalthusiennes qui sous-tendent l’argumentaire des opposants. Tout le monde a le droit de voir ses droits fondamentaux respectés, dont bénéficier d’un logement de qualité à un prix abordable n’est pas le moindre. Quand les opposants rayent sur les plans des centaines de logements au nom de la lutte contre la «surdensification», ils condamnent des milliers de ménages à vivre dans des appartements trop exigus, trop chers ou trop éloignés. Nos détracteurs ne sont visiblement jamais venus aux guichets des fondations immobilières pour entendre la détresse humaine des requérants d’un appartement adéquat. Il n’y a aucun «impératif de croissance», mais bien un impératif de droit social. Les Verts ont toujours défendu une société inclusive et accueillante, et cela implique de matérialiser cet esprit d’ouverture par un parc de logements à loyers contrôlés.
Ensuite, l’écologie. L’organisation de notre territoire issue du «tout à la voiture» des années 1960 et 70 est basée sur l’étalement, sur le zoning1>Zoning: division du territoire par des zones d’affection homogènes. Il y a des zones commerciales, industrielles, de logements, etc. Cet aménagement provoque une forte mobilité automobile, car les habitants naviguent entre ces zones au quotidien. et la monofonction est extrêmement intensive en carbone et impactante sur la biodiversité. Dès lors, le statu quo territorial ne fait que perpétuer la catastrophique écologique. Pour réduire son emprise sur la nature et le climat, l’être humain doit se concentrer sur les espaces déjà bâtis, réduire drastiquement la place de la voiture et végétaliser les espaces publics. C’est exactement le pari des nouveaux quartiers. Focaliser sur le béton nécessaire à la construction de ceux-ci consiste à reprocher à un cycliste l’impact écologique minime de l’acier de son vélo. Une étude récente sur le Grand Genève a démontré qu’habiter en villa émet quatre à cinq fois plus de CO2 que dans un écoquartier. Il faut en outre abattre dix fois plus d’arbres à cette fin et utiliser deux fois plus de matériaux. Le canton de Genève, en exportant sa construction de logement en France voisine, a fait exploser l’impact sur la biodiversité et l’agriculture… chez nos voisins! Pour les Verts, l’écologie est globale ou elle n’est pas. La nature a autant de valeur ici qu’ailleurs. Fermer les yeux sur les conséquences extérieures de la préservation de nos prés carrés locaux relève plus de l’egologie que de l’écologie.
Enfin, l’urbanisme. Les opposants au PAV [projet d’aménagement Praille-Acacias-Vernets] ont fait des tours l’objet architectural de répulsion pour y préférer les barres. Nostalgiques des cités dortoirs des années 1960 et 70, ils préconisaient ainsi des immeubles standards, au gabarit identique et sans surface d’activité. Le PLQ Acacias 1, avec seulement 5% de bureaux (soit des surfaces pour médecins de famille, physio, petites fiduciaires, etc.), en était déjà trop doté à leurs yeux. On peut évidemment toujours discuter des formes urbaines, mais il faut comprendre que la tour permet, d’une part, de préserver un maximum de pleine terre autour et, d’autre part, une meilleure circulation de l’air, qualités indispensables pour faire face aux futures vagues de chaleur. La densité n’a jamais empêché la qualité de vie. Au contraire! Si elle est bien faite, elle permet la ville des courtes distances faite d’interactions sociales, de culture et de services de proximité.
Les réflexions sur la fin de la croissance capitaliste sont fondamentales et au cœur de l’écologie politique. Elles ne doivent cependant pas servir de support à un conservatisme social préservant la situation actuelle au profit des biens-logés et laissant les mal-logés (étrangers, jeunes, revenus modestes) en marge de notre canton. Parler de décroissance sans analyse est trop facile. Le fait qu’Ensemble à gauche et l’Union populaire se soient alliés à l’UDC pour faire barrage au PAV devrait en questionner plus d’un. La validation d’un discours conservateur au nom de l’écologie et de la qualité de vie, qui a d’abord pour effet d’accroître les inégalités sociales envers les plus démunis, me semble une voie inconciliable avec les valeurs de solidarité.
Antonio Hodgers, président du Conseil d’Etat genevois, chef du Département du territoire.
Notes