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Le modèle traditionnel, aussi chez les jeunes

Les formes familiales traditionnelles, avec l’homme au travail et la femme au foyer, répondent encore à l’idéal d’une personne sur cinq en Suisse, y compris chez les jeunes. Le point de vue d’Huguette Junod.
Suisse

Parmi les nouvelles déprimantes dont nous sommes assailli·es, un sondage Tamedia1>Réalisé du 24.10 au 13.11.2022. auprès de 50 000 Suisses, dont 9000 Romand·es, au sujet de la famille (Tribune de Genève du 20 avril 2023) m’a donné un coup sur la tête. Il révèle que le modèle traditionnel «papa au boulot, maman au foyer» reste l’idéal pour une personne sur cinq en Suisse. Le pire, c’est que ce chiffre monte à 22% chez les 18-34 ans, alors qu’il est de 17% chez les 50-64 ans. Cependant, 60% des sondé·es se disent favorables à un couple où les deux travailleraient, avec un partage des tâches ménagères et éducatives.

On trouve d’importantes différences selon les partis politiques. Les Vert·es et les socialistes prônent à 66% un modèle égalitaire, seul·es 7 et 11% respectivement optent pour le modèle traditionnel. Mais chez les sympathisant·es UDC, c’est 47% pour la forme familiale égalitaire et 34% pour la forme traditionnelle – soit, pour ce dernier modèle, près de deux fois plus que la moyenne suisse, qui n’y est favorable qu’à 18%. Cela n’est pas étonnant de la part d’un parti non seulement raciste mais sexiste, qui a combattu la loi sur l’égalité, réclame depuis des années la liquidation du Bureau fédéral pour l’égalité, affirme, au mépris des faits, que la question des salaires n’est plus une question de sexe. Considérant l’égalité comme une idéologie qui vise à l’éclatement des familles et contribue à l’insécurité (sic!), elle a voté contre toutes les mesures concrètes pour faire appliquer la loi sur l’égalité. Elle s’est opposée à la décriminalisation de l’avortement (et prépare une initiative qui la restreint) et à l’assurance maternité. A Genève, elle a combattu le subventionnement de l’association Viol-Secours.2>Solidarités n°113 du 05.09.2007. Hélas, dans les faits, 60% des tâches ménagères sont encore uniquement à la charge des femmes3>OFS, «Enquête sur les familles les générations 2018», novembre 2019.. La proportion de couples où les deux travaillent à temps plein est de 12,9% contre 68,3% de ménages où l’homme travaille à taux plein et la femme à temps partiel ou ne travaille pas.4>OFS, «Situation économique et sociale de la population,relevé structurel 2015-2019», 2022.

Les résultats de l’enquête Tamedia me consternent. Depuis l’adolescence, je prône l’indépendance financière de chacun·e. Il est indispensable, vital, que l’homme et la femme fassent une formation qui permette de gagner sa vie. Tout adulte devrait être financièrement autonome, afin d’être libre de rester ou pas dans une relation. Rappelons qu’en Suisse, le taux de divorce est de 41,5%. Lors d’un divorce, il est donc essentiel que la femme puisse gagner sa vie, voire celle de ses enfants, un certain nombre de pères ne payant pas de pension alimentaire. En cas de violence domestique, la femme sans formation se trouve dans une situation dramatique.

Le divorce est d’ailleurs une cause d’appauvrissement. Selon l’OFS, 15,4% de la population résidente en Suisse est menacée de pauvreté et 8,5% considérée comme vivant au-dessous du seuil de pauvreté.5> OFS, «Enquête sur les revenus et les conditions de vie 2007-2020», 2022. Parmi elles, surtout les familles monoparentales et les familles nombreuses (3 enfants ou plus). Et 21,2% des familles monoparentales avec des enfants mineurs doivent recourir à l’aide sociale (chiffres OFS 2019) On estime qu’au moins 20% des mères en situation de monoparentalité en Suisse ne reçoivent pas de contribution d’entretien pour leurs enfants par l’(ex-)conjoint, ou seulement une partie.

Idéalement, il faudrait qu’à la naissance du premier enfant, le père et la mère obtiennent un temps partiel, ce qui leur laisserait du temps pour son éducation et, accessoirement, pour les tâches ménagères. Mais il faudrait surtout que la Suisse, en retard comme toujours sur les questions sociales, mette en place une politique nationale de services à la petite enfance et lutte enfin efficacement contres les inégalités salariales. Il est absurde, indécent que plus de quarante ans après la loi sur l’égalité, les femmes gagnent toujours près de 20% de moins que les hommes. Un salaire décent et juste résoudrait une grande partie des problèmes.

Cela fait cinquante ans que les féministes réclament ces mesures, mais rien ne bouge, ou si peu. Que toutes les femmes participent à la Grève féministe du 14 juin!

Notes[+]

* Ecrivaine, Perly (GE).

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