Genève

Serveuses harcelées et mobbées

Le syndicat Unia s’insurge du traitement que subissent les employées de l’hôtellerie-restauration, victimes de harcèlement et de mobbing.
Serveuses harcelées et mobbées
Le sondage d’Unia montre que 42% des personnes disent avoir déjà été mobbées au travail. JPDS
Travail

«Il parlait sans cesse de sexe. Tout tournait tout le temps autour de ça», a témoigné mercredi Chloé*, les larmes aux yeux, dans les locaux du syndicat Unia, à Genève. Avec trois autres femmes, elle est venue rendre compte d’un quotidien professionnel fait de harcèlement sexuel, verbal et physique, et de mobbing, dans le milieu de l’hôtellerie-restauration.

Chloé, comme ses camarades d’infortune, a eu le malheur de se trouver dans une situation de vulnérabilité. Espagnole, elle est venue en Suisse pour travailler dans un établissement vaudois sans connaître ses droits. «Le chef d’équipe me faisait peur en me rappelant que je n’avais pas de papiers. Je ne savais pas que travailler me donnait droit à un permis», a-t-elle détaillé.

Son calvaire a duré des mois durant lesquels elle a raconté avoir dû supporter les propos salaces, le chantage sexuel aux vacances ou le fait de voir son supérieur se toucher devant elle. C’était il y a trois ans et demi. Aujourd’hui, une procédure est en cours, mais pendant longtemps, elle n’a pas osé parler, de peur de perdre son travail, puis, une fois partie, de faire du tort à ses anciennes collègues.

Vulnérabilité

Julia*, venue à Genève sans papiers, a travaillé au noir durant une année et demie, sept jours sur sept pour un tarif de dix francs de l’heure. Draguée par son patron, a-t-elle relaté, elle a refusé ses avances. Cela lui a valu des menaces, des insultes et même des coups. «Il savait que j’avais besoin de ce travail et a abusé de la situation». Aujourd’hui, elle est suivie médicalement. Dans son cas, une plainte pénale a été déposée pour usure.

Quant à Mary* et Isabel*, c’est au sein d’une chaîne de fast food qu’elles témoignent avoir connu l’enfer. Des habits de travail usés mais non remplacés ou pas à la bonne taille. «On voyait mon soutien-gorge», a détaillé Mary, qui dénonce avoir subi également des attouchements de la part de son responsable. Ce dernier finira par être licencié avec deux autres hommes pour des faits de harcèlement, informe Unia. Elle dit avoir également été victime de mobbing de la part d’un groupe de collègues. Elle finira par être licenciée. Elle se remet avec difficulté de cette période.

«C’était mon premier job», souligne quant à elle Isabel* qui avait trouvé un poste dans cette même chaîne de fast food au sein de laquelle travaillait déjà sa mère. Cela n’a pas empêché plusieurs collègues, coéquipiers de football de son patron, de la harceler. «Mon directeur m’a dit que si je n’étais pas contente, je pouvais me casser.» Ce dernier, ajoute-t-elle, lui a également fait subir du harcèlement sexuel. «Il disait que je lui faisais de l’effet, que j’étais sexy et parlait tout le temps de sexe.» Les faits se sont intensifiés lorsque sa mère est partie en arrêt. Elle-même a été licenciée à la fin du délai de protection en cas d’arrêt maladie.

Loi du silence

Outre la souffrance liée aux faits relatés, ces femmes ont toutes été frappées par la difficulté à combattre leurs agresseurs présumés au travail. «Personne ne m’a soutenue. Pire, un audit a conclut que c’était lui et non pas moi qui était harcelé», se désole Mary. Et ce, alors que les agissements de son responsable semblaient être connus à l’interne. Chloé et Julia, étrangères, connaissant peu leurs droits, ont eu de la peine à trouver des soutiens. «Nous n’avions pas accès à notre patron, le seul interlocuteur était le chef d’équipe», explique la première. Julia, elle, explique que son ancien patron «savait qu’elle se trouvait en difficultés, qu’elle avait besoin de ce travail».

Appuyant ces propos, Artur Bienko, secrétaire syndical chez Unia et ancien cuisinier, confirme que le harcèlement sexuel et moral est endémique dans la profession. «C’est un tabou, tout le monde le voit, mais personne n’en parle.» Exemple de cet écueil, le sondage lancé par Unia au niveau suisse sur ces questions et le respect de la convention nationale n’a recueilli que 260 réponses, alors que le domaine emploie quelque 250 000 personnes. «Il est très difficile pour nous d’avoir accès aux employé·es», dénonce Camila Aros, secrétaire syndicale, pour expliquer ce faible taux de retour. Néanmoins, a précisé Helena Verissimo de Freitas, secrétaire régionale adjointe, les résultats correspondent à ceux de l’Office fédéral de la statistique.

Conditions de travail peu reluisantes

Le sondage d’Unia montre que 42% des personnes disent avoir déjà été mobbées au travail. Elles sont 27% à affirmer avoir subi du harcèlement sexuel. Dans 37% des cas, l’auteur était le patron. Un quart des victimes dit avoir été harcelées par un collègue. «Ces résultats sont déplorables et choquants», s’est exclamée Camila Aros. Aux problèmes de harcèlement, vient s’ajouter le non-respect de la convention nationale: plannings donnés en dehors du délai de deux semaines, pauses non respectées, contacts électroniques durant le temps de repos, etc.

Pour faire pression, Unia a déposé une pétition munie de 10 000 signatures à GastroSuisse. Le texte demande notamment une amélioration des salaires, trois semaines de délai pour les plannings ou encore le droit à la déconnexion. Le syndicat entend pouvoir négocier ces points avec les associations patronales et intégrer à la convention la question de la protection contre le harcèlement.

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