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La détention administrative de mineurs doit rester l’exception

Chronique des droits humains

Le 4 mai dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que la France avait violé les articles 3 – qui prohibe tout traitement inhumain et dégradant – et 5§1 et §4 – qui garantit le droit à la liberté et à la sûreté ainsi que le droit de faire contrôler à bref délai la légalité d’une détention – de la Convention pour avoir placé en rétention administrative la requérante et son fils mineur, âgé de sept mois et demi au moment des faits, sur une période de neuf jours en vue de leur transfert en Espagne en application du règlement dit Dublin III1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 4 mai 2023 dans la cause A.C. et M.C. c. France (5ème section)..

La requérante, née en 1997, et son fils, né en 2020, sont des ressortissants guinéens entrés en France au mois de juillet 2020 afin d’y demander l’asile. Le 23 octobre 2020, la préfète du Bas-Rhin ordonna le transfert des requérants aux autorités espagnoles, responsables de l’examen de la demande d’asile. Le 9 novembre 2020, la requérante, qui avait refusé l’aide au transfert volontaire vers l’Espagne, fut assignée à résidence. Par arrêté du 12 janvier 2021, la préfète ordonna le placement de la requérante au centre de rétention administrative de Metz-Queuleu pour une durée de quarante-huit heures. Le 14 janvier 2021, le juge des libertés et de la détention du tribunal de Metz prolongea la détention pour une durée de vingt-huit jours. Le même jour, la requérante refusa d’embarquer dans un vol à destination de l’Espagne et, le 18 janvier 2021, le magistrat de la Cour d’appel de Metz confirma les ordonnances du premier juge.

La cour a rappelé en référence à sa jurisprudence de principe que l’interdiction des traitements inhumains et dégradants est une valeur fondamentale des sociétés démocratiques, qu’il s’agit d’une valeur de civilisation étroitement liée au respect de la dignité humaine qui se trouve au cœur même de la Convention. Cette interdiction a un caractère absolu, qui ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation, et même dans les circonstances les plus difficiles, telle la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, quel que soit le comportement de la personne concernée2>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 15 décembre 2016 dans la cause Saber Ben Mohamed Ben Ali Khlaifia et consorts c. Italie et les références citées (Grande Chambre).. Elle a aussi rappelé que le placement d’enfants mineurs en rétention administrative soulevait des questions spécifiques dans la mesure où, qu’ils soient ou non accompagnés, ils étaient particulièrement vulnérables et appelaient une prise en charge spécifique compte tenu de leur âge et de leur absence d’autonomie. A cet égard, trois facteurs devaient être examinés: l’âge des enfants, le caractère adapté ou non des locaux en regard de leurs besoins spécifiques et la durée de la rétention.

Dans le cas présent, la Cour a pris en considération le très jeune âge de l’enfant, les conditions d’accueil dans le centre de rétention de Metz-Queuleu – qui, certes, est au nombre de ceux qui en France sont habilités à recevoir des familles, mais qui est mitoyen d’un centre pénitentiaire et se caractérise par sa dimension sécuritaire omniprésente, la zone dédiée aux familles étant uniquement séparée d’un simple grillage de la zone réservée aux autres retenus – et la durée du placement en rétention, qui s’est déroulé sur neuf jours. Ces éléments ont conduit la Cour à estimer que l’enfant avait été soumis à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité requis pour considérer qu’il avait été soumis à un traitement inhumain et dégradant.

Pour ces mêmes motifs, la Cour a considéré que la mise en détention de l’enfant violait l’article 5 de la Convention, car les autorités françaises n’avaient pas suffisamment vérifié qu’il s’agissait-là d’une mesure de dernier ressort, soit après avoir recherché s’il n’existait pas d’autre mesure moins attentatoire à la liberté.

Il ne fait guère de doute que cet arrêt sera observé avec attention en Suisse également où les débats autour des conditions de détention dans les centres de détention administrative reviennent régulièrement à l’ordre du jour de l’actualité.

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Pierre-Yves Bosshard est avocat au Barreau de Genève et membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

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