Épée de Damoclès économique
La Suisse progresse légèrement dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par l’ONG Reporters sans frontières (RSF), mais pas forcément pour les bonnes raisons.
Notre pays gagne certes deux rangs pour se retrouver à la douzième place. Ce qui le met dans la catégorie où la situation peut être qualifiée de «plutôt bonne». En soi, il s’agit bien sûr une bonne nouvelle. Mais cette amélioration est surtout due à la fin de la pandémie du Covid-19. Les mesures de confinement décidées par les autorités avaient provoqué, par ricochet, «une montée sans précédent» de l’hostilité verbale, voire d’agressions physiques, contre les journalistes. Cette pression est retombée. Le débat est plus apaisé et peut de nouveau être mené dans un cadre démocratique digne de ce nom.
Mais ce retour à la normale n’est pas à mettre au crédit d’une quelconque action politique favorable aux médias. Dans ce domaine, la tendance est au contraire au recul! La Suisse passe de la 29e à la 37e place si l’on mesure la qualité du cadre législatif, un des indicateurs pris en considération dans ce classement.
La législation suisse rend plus difficile le traitement de certaines informations pourtant cruciales à la transparence démocratique. Les Chambres ont ainsi accepté un durcissement supplémentaire des mesures provisionnelles permettant de bloquer un article avant même sa parution. Dans le cadre du différend qui l’oppose à l’homme d’affaires genevois Stéphane Barbier-Mueller, Le Courrier en a fait l’expérience. Un article a pu être gelé pendant plus d’une année.
Deuxième raison à ce recul: le durcissement, sous pression du lobby de la finance, de la loi sur les banques qui empêche les médias suisses d’exploiter les fuites des données bancaires. La Suisse a été la risée des pays voisins lors de l’affaire des Swiss Secrets impliquant de nouveau Credit Suisse. Enfin, la création de monopoles médiatiques pèse aussi dans ce classement. Le refus de la loi sur l’aide aux médias sous les coups de boutoir conjugués des partis de la droite la plus réactionnaire et affairiste et de certains grands éditeurs, en février 2022, fragilise la situation des petits journaux.
En clair: les journalistes ne se font plus cracher dessus par des antivax; pour le reste, rien n’a changé, et ce n’est pas l’arrivée d’un udéciste – Albert Rösti – aux commandes du dossier des médias qui va améliorer la donne, lui qui a surtout le service public de l’information dans le collimateur.
En Suisse, le vrai danger qui pèse sur les journalistes suisses et les médias est d’abord et surtout économique.