Édito

Médias et secret bancaire: un combat inégal

Médias et secret bancaire: un combat inégal
En Suisse, les intérêts économiques priment toujours sur la liberté d’expression. KEYSTONE
Médias

Le secteur bancaire, cette vache sacrée helvétique. Il y a une année, l’affaire des Swiss Secrets éclaboussait une nouvelle fois la place financière suisse. Des milliers de comptes douteux, voire recelant de l’argent de la corruption, avaient été identifiés à la suite d’une fuite de données. Las, comme le révèle la lettre d’information Gotham City, spécialisée dans les questions de criminalité économique, une enquête a été ouverte… pour identifier le lanceur d’alerte qui a déclenché ce scandale plutôt que contre les banques prises la main dans le pot de confiture.

>Lire aussi la dépêche « Berne enquête sur le vol de données »

Le droit suisse est ainsi – mal – fait. L’article 47 de la Loi sur les banques, durcie à partir de 2010, prévoit de telles poursuites. Crédit Suisse a porté plainte, l’affaire est instruite… Un cas particulièrement révélateur de la culture du secret qui permet tant d’accommodements avec la morale des affaires.

En 2022, la presse suisse s’était retrouvée dans l’impossibilité d’exploiter ces données, qui avaient été confiées à un consortium international de journalistes spécialisés dans ce type d’enquêtes. La presse internationale y avait consacré des dizaines de pages. Pour les médias de la place, en revanche, motus, ou presque. La menace judiciaire était trop patente avec, à la clé, des risques de prison et des amendes dissuasives.

Résultat: la Suisse a reculé à la quatorzième place en matière de liberté de la presse. Notre pays a même été tancé par Irene Khan, la rapporteuse de l’ONU sur la liberté d’expression, alors qu’il se voit souvent comme un modèle en matière de libertés publiques. Un peu humiliant.

Les choses vont-elles changer? Une petite lueur d’espoir est apparue hier. Le Conseil fédéral se dit prêt à accepter une motion déposée par la gauche. Il promet de réviser la Loi sur les banques pour garantir la liberté de la presse.

Cela sera-t-il suffisant? Il faudra maintenir la pression. Une minorité – de droite – de la commission refuse cette idée. Toujours le poids des lobbies. Avec aussi le risque que cette révision soit suffisamment floue pour que perdure la censure imposée aux médias sur ces affaires. Car, dès le lancement du processus de durcissement de la loi en 2010, la sonnette d’alarme avait été agitée par les journalistes qui voyaient venir le danger. En vain. L’antienne du pot de fer des intérêts économiques contre le pot de terre de la liberté d’expression.

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