Édito

Liberté de la presse malmenée

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Il sera désormais plus facile de bloquer la parution d'un article qui déplaît ou estimé contraire aux intérêts d'une personne. KEYSTONE/IMAGE D'ILLUSTRATION
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Sale temps pour la liberté de la presse. Le Conseil national a suivi hier les Etats et durci le Code de procédure civile. Résultat, il sera plus facile pour une personne concernée de bloquer un article qui lui déplaît ou qu’elle estime contraire à ses intérêts.

Très concrètement, pour activer des mesures superprovisionnelles ou provisionnelles, il ne sera plus nécessaire d’alléguer que l’atteinte à la personne soit «particulièrement grave», la simple «gravité» suffira. Ceci alors que la justice suisse fait déjà une lecture pour le moins extensive du respect à la sphère privée.

Ainsi, il y a moins d’un mois, dans le cadre du procès Raiffeisen, Le Courrier s’est vu interdire, en amont de la publication d’un article, de divulguer le nom d’un coaccusé de l’ex-patron de la banque suisse. Une personne bien en vue au bout du lac. La décision a été prise sur le siège, sans même que notre journal soit entendu. Nous avons bien sûr recouru. Et obtenu la levée des mesures superprovisionnelles. Mais cette décision a été obtenue bien après le verdict où ce particulier a été partiellement condamné. La liberté d’informer a été maltraitée dans cette affaire.

Cette procédure est d’ailleurs en cours à l’heure où ces lignes sont publiées. La justice doit encore trancher sur le fond: peut-on ou non donner le nom de cet acteur économique que nous considérons être une personnalité publique? Et est-il normal que le fait de disposer de moyens financiers considérables vous permette de museler la presse avec l’aide d’une justice consentante et qui ne trouve rien à redire à ces procès-bâillons?

Des questions fondamentales dans une démocratie qui se respecte. La Suisse, qui se voit parfois à l’avant-garde des libertés, est pourtant sortie du top ten du classement en matière de liberté de la presse, en se contentant d’un modeste quatorzième rang (en recul de quatre places). Ceci notamment en raison de sa propension à la discrétion. Particulièrement lorsqu’il est question de secret bancaire. Les journaux suisses n’ont ainsi pu faire état des «Credit Suisse Papers», ces fuites dévoilées par le consortium international des journalistes d’investigation, qu’en recourant à de subtiles contorsions.

Le durcissement voté hier à la hussarde s’inscrit dans ce contexte visant à protéger le juteux business des banques et autres évasions fiscales dont la Suisse est une des plaques tournantes et qui disposent de solides relais aux Chambres. Face à des libertés fondamentales, une fois de plus les prébendes de quelques-uns ont prévalu. Désolant. Mais guère étonnant.

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