Pillage
Depuis que les mémoires informatiques se sont révélées sans limite, elles n’ont eu de cesse, à travers leurs maisons mères, de piller tout ce que l’homme/la femme avaient écrit depuis la nuit des temps. C’est ainsi que les bibliothèques du monde entier ont été siphonnées pour enrichir l’intelligence artificielle.
Mais l’IA, qui est gloutonne, très gloutonne, n’entendait pas s’arrêter en si bon chemin. Du coup elle s’est dit que toutes les données, tous les goûts, tous les désirs, toutes les intentions des humains l’intéressaient. Alors, elle a inventé dans le désordre facebook, tweeter, instagram, whatsapp, tik tok, meta et consorts.
Sa séduction a été amplifiée par les technologies des smartphones, de plus en plus sophistiquées et magnétiques dans leurs applications. Rappelons-nous pendant la période de confinement liée à la pandémie, elles nous offraient rien de moins que notre QR code perso qui était le sésame de toutes les portes des lieux publics et de spectacles dont nous avions été tant sevré·es. Une image magique indéchiffrable pour tout un chacun sur un support iconique, emblème d’une modernité conditionnée et extatique, le Graal, la toute puissance d’un symbole incontournable tout droit sorti d’un imaginaire à la Harry Potter.
C’est donc de cette extase et de cette addiction que se repaissent les intelligences artificielles à qui nous n’avons pas peur de confier nos plus petits secrets, de dévoiler sans limites nos goûts, nos intimités, nos penchants, nos plaisirs physiques et culturels, nos fantasmes. Une masse d’informations phénoménale dont les algorithmes se nourrissent gracieusement, digèrent, classifient, personnalisent de façon ciblée et exclusive pour chacun·e des milliards d’utilisateur·trices de leurs supports.
L’IA sait vous reconnaître parmi les innombrables elles/eux, vous influencer, vous dicter ses intentions qui se sont substituées aux vôtres. Et à la fin du compte naît Chat GPT, tout puissant double de chacun·e avec des connaissances, des compétences, des synthèses, des réflexions, des réponses qui dépassent l’entendement.
Oui, nous ne sommes plus maîtres de nos destins, quand bien même nous croyons encore domestiquer le monstre par un dialogue humain intelligent qui en fait le rend à chaque seconde d’interpellation toujours plus puissant. Demain, toutes et tous devenu·es apathiques et rivé·es sur nos jeux et nos supports pléthoriques, elle n’attendra – tout le système de consommation d’ailleurs – plus que de penser pour nous. Sans doute qu’au nom du progrès, c’est ce que nous désirons intimement sans prendre une minute conscience que livrer nos vies et nos savoirs à la Deus ex electronica est un crime absolu contre l’intelligence.
Léon Meynet
Chêne-Bougeries (GE)