Édito

Le goût amer des crédits carbone

Le goût amer des crédits carbone
Les activités de pâturage des Massaïs au Kenya sont convoitées par le business des crédits carbone. NAGARJUN / CC 2.0
Climat

Les terres autochtones. On les a conquises pour piller leurs ressources, pour cultiver leurs vastes étendues, pour les transformer en sanctuaires pour la biodiversité. Aujourd’hui, c’est au nom de la sauvegarde du climat que de périmètres entiers sont consacrés au juteux marché des crédits carbone, estimé à quelque 30 milliards de dollars étasuniens d’ici à 2030.

Dans son rapport «Carbone de sang», l’ONG Survival International pointe du doigt un programme de crédits CO2 mis en place depuis dix ans au Kenya dans des zones habitées par des communautés d’éleveurs semi-nomades. Par de savants calculs et systèmes, il vise à «améliorer» les modes de pâturages traditionnels pour capturer plus de 40 millions de tonnes de CO2. Des crédits que des Etats et des entreprises comme Meta et Netflix achètent afin de compenser leurs propres émissions polluantes.

Quel manque flagrant d’humilité! L’ONG démontre par A+B que les projections de capture de carbone sont basées sur des modèles impossibles à mettre en œuvre sur le terrain. Une arnaque de greenwashing, dénonce Survival International. Et quel manque de respect des droits humains! Alors que la préservation de ces espaces de savane abritant rhinocéros, girafes et éléphants découle des savoirs et des pratiques traditionnelles à l’efficacité évidente, voilà que les peuples autochtones, dont l’impact sur le climat est bien moindre que le nôtre, deviennent la cible de violences et peinent à assurer leur propre subsistance.

Force est de constater que la lutte contre le changement climatique n’échappe pas à des dérives, ouvrant même la voie à une nouvelle forme de colonialisme. Celle qui consiste à fixer un prix à la nature, à mettre des limites à des étendues ouvertes, à contrôler ces nouvelles frontières au moyen de gardes-faune armés jusqu’aux dents et prêts à tirer sur quiconque s’aventure du mauvais côté ou refuse de suivre les plans concoctés par des entités soi-disant plus «développées».

C’est un euphémisme d’affirmer que ces crédits carbone ont un goût amer. L’unique solution, pour éviter ce marché de dupes, est bien de réduire les émissions de CO2. Aux pays et aux multinationales pollueuses de prendre leurs responsabilités.

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