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Six mois après le début de la révolte

Si le mouvement de contestation entamé en septembre 2022 a évolué du fait de la répression, «La détermination au changement l’a emporté sur la peur», selon Hamid Enayat. Cet analyste iranien basé à Paris livre un éclairage sur les avancées et les freins à la révolte populaire iranienne.
Iran

Plus de six mois se sont écoulés depuis le début de la révolution iranienne. Avant ces soulèvements, nombre de personnes dans le monde considéraient le régime des mollahs comme puissant et immuable. Les démonstrations de force du guide suprême en ont même peut être impressionné certains; programme nucléaire, missiles balistiques, opérations de guerre en Moyen-Orient, terrorisme jusque sur le territoire européen… La liste est longue de l’intimidation exercée par les mollahs sur le reste du monde Pourtant, le mouvement de révolte a clairement mis en exergue la volonté populaire de renverser la tyrannie. Désormais, l’image d’une république libre et démocratique en Iran ne semble plus relever de l’utopie.

Petit à petit, la possibilité démocratique s’inscrit dans les têtes, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Paradoxalement, la réponse violente du guide suprême à ces velléités contribue à ancrer l’idée d’une île de liberté au cœur d’un océan moyen-oriental de dictatures. Le monde a pu le constater: aucune recherche de solution, aucune esquisse de dialogue, aucune démarche en vue d’assouplir son système de la part du régime iranien, incapable d’envisager le partage d’un pouvoir qu’il estime mériter au titre d’une injonction divine. Le fait est qu’il n’a pas de solution, sinon disparaître dans les abysses de sa propre haine du genre humain.

Depuis septembre 2022, la valeur de la monnaie iranienne a chuté de plus de moitié. La répression croissante, associée aux politiques économiques désastreuses et à la corruption du régime, a créé un gouffre entre le peuple et le gouvernement avec, aujourd’hui, la question de la liberté au centre du conflit. Le régime a l’intention d’écraser le soulèvement en tuant des centaines de jeunes manifestant·es, en exécutant des prisonniers politiques et en pratiquant la torture. A ce jour, plus de 750 personnes sont mortes sous les coups de la république islamique.

Cependant, l’arme répressive semble ne plus avoir le même impact que par le passé. Pour preuve: la durée de la révolte menée par les jeunes – notamment les jeunes femmes – malgré une répression d’une brutalité inédite. La population a fait montre d’une capacité à encaisser les coups sans précédent dans le pays. Malgré les heurts, la torture, les morts, le peuple est déterminé à se débarrasser des mollahs. D’autres formes de résistance se sont multipliées. Lors de la traditionnelle Fête du feu, à la mi-mars, les gens ont brûlé les symboles du régime et montré une fois de plus leur détermination et leur colère à l’égard des mollahs et leur désir d’apporter la liberté à l’Iran.

L’autre ligne de défense du régime consiste en une diabolisation tous azimuts de ses opposants. A l’intérieur comme à l’extérieur du pays, le régime dépense des sommes astronomiques à la diffusion d’une propagande ciblant particulièrement la seule force politique susceptible de lui succéder, le CNRI (Conseil national de la résistance iranienne). De fausses informations sont republiées par les restes de l’ancien régime dans le but de faire avancer son projet de diabolisation. Les services de renseignement iraniens ont également essayé d’empêcher les députés des Etats-Unis de signer la résolution 100 du Congrès américain [qui exprime le soutien au droit du peuple iranien à une République démocratique, laïque et non nucléaire]. Malgré tout, la résolution a finalement été soutenue par 225 députés.

C’est dans cette même veine que s’est développée l’idée selon laquelle des gouvernements étrangers tenteraient de ramener la dictature passée du Shah en Iran afin de décourager le peuple de poursuivre ses protestations. Là encore, la manipulation n’a pas dupé le peuple iranien qui a lutté et payé le prix fort pour renverser la dictature du Shah. Les slogans ne laissent aucun doute: «Mort à l’oppresseur, qu’il s’agisse d’un roi ou d’un dirigeant».

Enfin, le dernier obstacle au renversement du régime réside dans l’incapacité des gouvernements occidentaux à prendre de réelles décisions diplomatiques. Certes, les pays européens soutiennent publiquement le soulèvement et condamnent verbalement la répression. Cependant, ils refusent l’inscription du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) sur la liste des entités terroristes. Il s’agit pourtant de la principale force de répression du pays et des désordres constatés au Moyen-Orient. Condamner la violence sans en fustiger les responsables s’apparente à un simple effet de communication forcé par les événements.

Les pays occidentaux pensent-ils qu’il suffit de demander gentiment à une entité terroriste d’abandonner sa quête de la bombe atomique pour qu’elle stoppe? Alors que les mêmes attaquent des écoles de filles avec des armes chimiques? La naïveté confondante des chancelleries occidentales ne peut signifier que deux choses: soit notre arrogance et notre conviction de supériorité nous empêche de voir ce qu’il se passe réellement, soit nous sommes complices des mollahs… Désigner les Gardiens de la révolution comme entité terroriste n’est pas seulement une recommandation morale, mais une nécessité pour mettre fin à quarante ans de prises d’otages, de terrorisme et de bellicisme en Europe et en Iran.

Opinions Agora Hamid Enayat Iran

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