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L’essor du nouveau féminisme au Moyen-Orient

Le mouvement de contestation qui s’est levé depuis la mort, le 16 septembre à Téhéran, de la jeune Kurde iranienne Mahsa Jina Amini détenue par la police, ne faiblit pas, remettant en cause, malgré la répression, la théocratie iranienne. Une révolte qui se distingue «par une forte identité féministe et kurde», analyse Jamshid Pouranpir.
Iran

Voilà plus de quatre décennies que l’instauration de la République islamique en Iran a ouvert un cycle de fondamentalisme qui a pris pour cible l’habillement des femmes. Qu’il soit d’obédience chiite ou sunnite, ce fondamentalisme fait du corps féminin un sujet de fantasmes mortifères. Taliban, Al Qaeda et Daesh sont son expression dans le monde sunnite.

Les Iraniennes ont débuté leur lutte contre l’imposition du voile au lendemain de l’accaparement du pouvoir par les ayatollahs. Le 8 mars 1979 a eu lieu la première manifestation des femmes à Téhéran. Ensuite, des actes de désobéissance ont émergé de diverses manières, les plus spectaculaires étaient les mercredis blancs: enlever son voile en l’accrochant au bout d’un bâton et en faire le symbole de la liberté de se vêtir.

La République islamique réduit les femmes à la fonction reproductive. Leur place au travail, dans la vie sociale, dans la pratique du sport, dans l’espace public est devenue résiduelle. En parallèle, l’encouragement à l’enfantement est promu avec force budgets. Le mariage temporaire est un subterfuge pour autoriser des relations sexuelles multiples pour les hommes. La virginité réserverait aux femmes une place au paradis. Raison pour laquelle de nombreuses militantes ont été mariées de force avec leur geôlier à la veille d’une exécution sommaire.

Jina (ou Mahsa) Amini a constitué l’étincelle qui a allumé le brasier. La journaliste ayant révélé son assassinat est détenue dans un lieu secret. D’autres femmes ont repris le flambeau. L’avant-garde de la lutte récente est désormais féministe. La kurdité est concomitante avec ce nouveau féminisme.

La quatrième semaine de cette mobilisation massive débute et de nombreux milieux se tâtent. Les «réformateurs» fidèles aux fondements de la République islamique s’enferment dans le mutisme. Alors qu’ils avaient largement dominé les protestations en 2009 lors des élections truquées ayant conduit à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad. Un supposé réformateur, fils du feu ayatollah Motahhari, a annoncé que s’en prendre à la police était nuisible à tous. Toutes les tendances du régime ont soutenu les lois liberticides: châtiments corporels, chosification des femmes, oppression des minorités sexuelles, négation des droits des peuples composant l’Iran, etc. Réformateurs et conservateurs sont dans la stricte ligne de Khomeiny. La politique expansionniste dans la région, le racisme anti-Afghan·es et les visées impérialistes en sont les illustrations.

L’illusion que l’Iran mollahisé pourrait fonctionner sur le même modèle qu’un pays de démocratie libérale est un leurre visant à maintenir au pouvoir une caste mortifère. Le peuple doit s’effacer devant la volonté d’Allah selon la théocratie au pouvoir depuis plus de quatre décennies – c’est sous le régime de réformateurs tels que Moussavi et Karoubi que les pires massacres des prisonnier·ères politiques ont eu lieu. Les Iraniennes et Iraniens brûlent à présent les portraits de Khomeiny, Khamenei et de Soleimani. Le cri de «nous reprendrons le contrôle de notre pays» résonne partout, même dans les villes conservatrices comme Qom et Mashhad. Les Moudjahiddines du peuple se voient dépassés par l’ampleur d’un mouvement spontané qui n’affiche point les portraits de leurs leaders. La galaxie de la gauche iranienne est sonnée par le fait que le peuple occupe le pavé selon des logiques incompatibles avec les grandes théories concoctées dans les cafés en Europe, aux Etats-Unis, en Australie ou au Canada.

A l’exception des syndicats de collégien·nes et d’étudiant·es, les organisations ouvrières iraniennes réfléchissent encore s’il faut enclencher des grèves massives ou pas. Les royalistes n’entendent plus le slogan «paix à ton âme, Reza Shah». Au contraire, la rue scande «ni shah, ni guide». Des grèves massives ont paralysé l’ensemble du Kurdistan iranien. Le potentiel de lutte kurde est à son comble.

La tiédeur de la gauche européenne étonne. Après avoir fait cause pour la liberté des musulmanes à se voiler, l’émancipation des Iraniennes met mal à l’aise cette gauche. Pourtant, il est question de la même liberté: celle de porter – ou non – le voile. La nouvelle révolution iranienne est symbolisée par l’assassinat de Jina (son prénom kurde) Amini, qui venait du Kurdistan. Ce détail est de taille. Puisque cette révolte se distingue par une forte identité féministe et kurde. Le slogan «Jen, Jian, Azadi» (femme, vie, liberté) est né dans le sillage de la révolte des femmes de Rojava (Kurdistan syrien), confrontées aux affres d’un islamisme qui se différencie peu des maîtres chancelants de Téhéran. La rue est occupée par le nouveau féminisme iranien. Le patriarcat et le nationalisme exacerbé sont ébranlés par ce vent automnal de la révolution féministe d’une ampleur qui va jusqu’aux confins d’Afghanistan. La fin de l’islamisme radical semble ­programmée.

Jamshid Pouranpir est secrétaire syndical, Syndicat suisse des services publics, Genève.

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