Chroniques

Un livre accessible

À livre ouvert

Raconter la vie d’un être d’exception en à peine une soixantaine de pages est un défi, en faire un livre une gageure. Découvrant chez un libraire de Colmar la couverture du livre d’Isabelle Louviot et Georges Peignard1>Isabelle Louviot et Georges Peignard, Elisée Reclus: penser l’humain et la Terre, Editions Le Tripode, 2022. consacré à Elisée Reclus, l’ouvrant au hasard et m’arrêtant devant quelques illustrations pleine page sur la bonne cinquantaine que contient l’ouvrage, remarquant enfin que cet essai biographique est enrichi d’une courte anthologie, je me dis que pareil alignement des planètes est de bon augure et qu’il vaut la peine d’entamer la lecture.

Mais avant cela, une chose à propos de l’actualité éditoriale consacrée au géographe-anarchiste. Celle-ci est en pleine effervescence et cela dit beaucoup de l’époque que nous traversons. Il y a près d’un siècle, et sans grand risque de se tromper, Elie Faure pouvait dire de son oncle Elisée qu’il était «un phare dans le lointain», une lumière à l’aide de laquelle se diriger lorsque le vent forcit et le grain menace. Mais parce que le combustible manque ou la maintenance est défaillante, un phare peut, au contraire d’un astre, s’éteindre au plus fort de la tempête. Aussi nous faut-il remercier ceux qui au moment opportun, au fil des ans, se sont mis à l’ouvrage et ont «ravivé» la flamme reclusienne et sans lesquels cette vie et cette œuvre seraient bien moins connues aujourd’hui. Je pense ici en premier lieu à Paul Reclus, Gary Dunbar et Hélène Sarrazin2>Paul Reclus, Les frères Elie & Elisée Reclus ou du Protestantisme à l’Anarchisme, Les amis d’E. Reclus, 1964; Gary S. Dunbar, Elisée Reclus: Historian of Nature, Archon Books, 1978; Hélène Sarrazin, Elisée Reclus ou la passion du monde, La Découverte, 1985..

Qui dit effervescence ou foisonnement éditorial dit potentiellement nouveaux lecteurs et nouvelles lectrices. Mais pour s’assurer que l’œuvre de Reclus soit lue par celles et ceux qui ne le connaissent pas encore, éditer des anthologies de textes ne suffit pas3>A moins, selon nous, de donner à la dite «anthologie» des coordonnées précises comme dans Elisée Reclus, Libre nature, Héros-Limite, 2022.. Non, il faut un «livre accessible», un vade-mecum capable d’esquisser à gros traits les contours d’une vie à nulle autre pareille. Telle est donc l’ambition d’Elisée Reclus: penser l’humain et la Terre.

La partie biographique tout d’abord, de l’enfance à la mort de Reclus, où les auteurs disposent devant nous de jalons aisément saisissables, les plus importants assurément. Si l’on abandonne à regret l’enfant, on se réjouit d’entrer dans les pages décrivant le premier exil et voyage, en particulier ses étapes états-unienne et colombienne, auxquels feront écho dans la partie «anthologie» de remarquables extraits de textes: «Dans la peau d’un nègre» (1861) et «Galerie néo-grenadine» (1859-1860), tous deux parus dans la Revue des deux mondes.

Suivront le retour en Europe, la «naissance» du géographe et l’intense collaboration avec la maison Hachette qui lui vaudra une reconnaissance internationale fort utile au sortir de la Commune où, au sein «de la foule anonyme des combattants et des vaincus», il se voit condamné, après de longs mois d’emprisonnement, au bannissement. Cette condamnation sera finalement commuée en exil et il franchira au printemps 1872 la frontière suisse. S’en suivra une période extrêmement prolifique tant pour le géographe que pour l’anarchiste, travaillant sans relâche à son grand œuvre, la Géographie universelle (en 19 volumes) et n’oubliant jamais de s’engager pour la cause. Les dernières années seront celles, après un bref passage en France, d’un nouvel exil, en Belgique cette fois, où il mettra en compagnie de son neveu Paul la touche finale à son dernier opus, L’Homme et la Terre.

Parmi les textes composant l’anthologie, il y a ceux qui ne surprennent plus personne tant ils sont connus – des extraits d’«A propos du végétarisme» ou d’Histoire d’un ruisseau – et puis il y a ceux qu’il ne faut manquer de lire, comme un témoignage rare de son emprisonnement en 1871-1872 ou la toujours essentielle charge contre le vote: «Voter, c’est abdiquer» (1883).

Au sortir de cette lecture, on se dit que le pari est réussi. Que l’essai biographique, les illustrations ainsi que l’anthologie ont travaillé de conserve et que de nouvelles personnes voudront poursuivre cette découverte de l’œuvre et la vie d’Elisée Reclus. Il y a lieu de s’en réjouir.

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Alexandre Chollier est géographe, écrivain et enseignant.

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lundi 8 janvier 2018

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