En route pour le 14 juin 2023
En ce premier jour de printemps et fortes de l’énergie déployée ces derniers mois, nos regards sont déjà tournés vers le 14 juin prochain. Le 4 mars dernier, au terme d’un intense travail réalisé tout au long de l’hiver par les collectifs cantonaux, se sont tenues les assises nationales de la Grève féministe à Fribourg. Les organisations syndicales, au travers de leurs commissions égalité, sont mobilisées et l’Union syndicale suisse est également au rendez-vous. L’Appel est lancé, fort de nombreuses et nécessaires revendications: la mobilisation de toute la Suisse est attendue en juin prochain.
Partout, aux niveaux cantonal, communal, dans les quartiers, sur les lieux de travail et de formation, l’élan est perceptible, les manifestations du 8 mars dernier ont permis de prendre la température. Nous sommes fières de l’énergie féministe à l’œuvre à travers tout le pays, une énergie qui ne s’est pas tarie depuis 2019 et qui s’accompagne d’une créativité, d’une inventivité et d’un humour sans pareil, en témoignent badges, pancartes et banderoles présentes dans les cortèges.
Une énergie qui est en train de produire des cahiers de revendications aussi diversifiés qu’il existe des lieux de vie, de travail, de formation et de loisirs. Et une telle détermination, il en faut, tant les avancées depuis la grève de 2019 ont été faibles. Certes, la population a adopté le mariage pour tous et toutes ainsi qu’un congé paternité de deux semaines. Certes, la progression des femmes au parlement a atteint 42% en 2019. Pour le reste, les autorités, gouvernements et parlements, ont fait la sourde oreille aux revendications de 2019. Plus grave encore, l’importance de la mobilisation d’alors a fait sortir du bois nombre d’antiféministes, et l’opposition à une réelle égalité est palpable, quel que soit le domaine considéré.
Prenons l’exemple de la santé sexuelle et reproductive; deux initiatives issues des milieux réactionnaires s’en prennent à la solution des délais en vigueur depuis 2002. Et le 7 mars dernier, la veille de la Journée internationale des droits des femmes, le Conseil national a refusé d’entrer en matière sur une initiative parlementaire demandant la dépénalisation de l’interruption de grossesse.
Faut-il encore rappeler le camouflet subi par les femmes avec la votation sur AVS21 en septembre dernier? Dans ce dossier, le premier coup à l’encontre des femmes a été porté quelques jours après la grève de 2019, lorsque Alain Berset avait annoncé la mise en consultation du projet. Alors que les inégalités en matière de rentes de retraite s’élèvent à près du double de l’écart de rémunération pendant la vie active, le gouvernement et la majorité des partis politiques conservateurs, une majorité d’hommes et de nombreuses femmes n’ont pas voulu admettre que cette réforme allait renforcer ces inégalités. Certes, l’année dernière, une majorité, ridicule, a voté le relèvement de l’âge de la retraite des femmes. Comme ces résultats sont amers lorsque l’on entend quelques mois plus tard le ministre français Franck Riester finir par reconnaître lors d’une interview que le projet de réforme des retraites du gouvernement Macron relevant de deux ans l’âge du départ à la retraite pénalise davantage les femmes que les hommes.
Et la réforme de la prévoyance professionnelle laisse augurer le pire, les promesses qui ont été faites au lendemain de la votation AVS21 se sont évaporées rapidement. Ces réformes ne visent pas à résorber une partie des inégalités, au contraire, elles comportent le risque de renforcer la précarité, voire la pauvreté féminine.
Dans le domaine des salaires, la stagnation est de mise depuis des années. La révision de la loi fédérale sur l’égalité entre les femmes et les hommes (LEg) obligeant les entreprises de plus de 100 employé·es à faire une analyse de leur pratique salariale au regard de l’égalité ne comporte pas de sanction et contribue au mirage de l’égalité acquise. Et en 2032, lorsque ces dispositions cesseront d’exister, les discriminations salariales nous sauteront à nouveau au visage.
D’aucun·es diront «y en a marre», «l’égalité est acquise», «mais qu’est-ce qu’elles veulent encore?». La réponse est assez simple: le mouvement ne s’arrêtera pas tant qu’il restera des inégalités au travail, dans le couple, à la retraite, dans la formation; des vagues violettes continueront à déferler tant qu’il y aura des violences sexuelles et sexistes, que le harcèlement au travail, dans la formation et dans la rue n’auront pas cessé; la mobilisation se poursuivra tant que nous ne pourrons pas librement décider de ce que nous faisons de nos corps, en termes de normes, de sexualité, de reproduction.
Alors, oui, mettons-nous en mouvement, au travail, à l’école, à la maison, et toutes et tous dans la rue, le 14 juin 2023.
* Investigatrices en études genre.