On nous écrit

N’oublions pas les Arméniens

Edmée Brunner et Alain Filliol rappellent que l’enclave montagneuse arménienne du Haut Karabagh, appelée l’Artsakh, fait l’objet d’un blocus depuis trois mois.  
Conflit

Le 27 février s’est ouverte la 52e session du Conseil des droits de l’homme à Genève. La place des Nations, noire de monde, accueillait à cette occasion un chœur de manifestations où Iraniens, Tibétains, Tamouls et Arméniens dénonçaient les exactions commises dans leurs pays respectifs. Mais que vient faire l’Arménie dans ces manifestations? C’est là où le bât blesse. En effet, dans les atrocités dénoncées au quotidien, l’Arménie est volontiers passée sous silence. Or, sa petite enclave montagneuse du Haut Karabagh, appelée l’Artsakh, est une prison à ciel ouvert, littéralement coupée du monde.

La seule voie de communication, le couloir de Lachine, reliant le Haut Karabagh à l’Arménie, est inaccessible à tout trafic civil et commercial depuis le 12 décembre 2022 en raison d’un blocus orchestré par l’Azerbaïdjan. Quelque 120 000 habitants sont privés de l’essentiel: gaz, électricité, médicaments, nourriture. Pour échapper à cette mort lente, la seule issue qui reste aux habitants est de vider les lieux. En effet, le dessein politique d’Aliyev, l’homme fort de Bakou, est de contraindre la population autochtone à quitter définitivement son territoire. Le 11 janvier, il a affirmé sans détours que le corridor était «ouvert pour ceux qui souhaitaient partir». Ainsi, depuis le début du blocus, 1100 habitants ayant quitté l’Artsakh se trouvent dans l’impossibilité de rallier leur domicile d’origine. On peut parler à juste titre d’un nettoyage ethnique. Une annexion progressive du territoire souverain arménien est en effet à craindre. Depuis septembre dernier, les frontières du pays ont été prises d’assaut. Aliyev a précisé qu’il souhaitait ouvrir un corridor vers son enclave du Nakhitchevan, constituant un continuum extraterritorial et annexant ainsi une partie du Syunik arménien. Aliyev n’a pas fait mystère de cette ambition territoriale. En début d’année, il s’est exclamé qu’il percerait ce corridor «que l’Arménie le veuille ou non». Dans ses envolées expansionnistes, il décrit l’Arménie comme l’«Azerbaïdjan occidental».

On se souvient qu’à l’issue des hostilités entre le Haut Karabagh et l’Azerbaïdjan en novembre 2020, les accords avaient prévu une force d’interposition russe pour garantir la sécurité de l’Artsakh. Or ces forces de maintien de la paix ne respectent pas lesdits accords et leur inertie favorise les desseins d’Aliyev.

Que fait la communauté internationale? Il serait peut-être judicieux de rappeler la visite à Bakou, le 18 juillet 2022, de Madame Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Celle-ci s’est prononcée pour un nouvel accord visant à doubler les importations du gaz azerbaïdjanais. Elle a qualifié l’Azerbaïdjan de «partenaire fiable». Dans cette stratégie de diversification de ses approvisionnements énergétiques, l’UE n’a pas hésité à négocier avec un régime dictatorial qui agresse quotidiennement son voisin arménien.

En cela, la Suisse hélas n’est pas en reste. Les mêmes intérêts la conduisent à courtiser les hydrocarbures azéris. Migros, entre autres, a passé des accords avec SOCAR, une entreprise entre les mains de la dictature.

Que fait la Confédération? Pour quelle raison ces événements sont-ils si peu relayés par l’actualité? La Suisse, soulignons-le, a été une des pionnières de la reconnaissance du génocide arménien. Aujourd’hui, son silence est sidéral et fait de nous des complices des exactions azerbaïdjanaises.

Rappelons l’engagement et la tradition humaniste de notre pays par la voix du conseiller fédéral Giuseppe Motta qui, à l’issue du premier conflit mondial, grondait: «Ne pas résoudre la question de l’Arménie, une honte pour la civilisation humaine…»

Brisons le silence et gardons en mémoire que le génocide arménien a été perpétré dans l’ombre de la première guerre mondiale.

Edmée Brunner, Alain Filliol, Genève

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