Chroniques

L’immobilier immobile

Un avenir à désirer

Depuis quelques mois, la Grève du climat conteste l’édification de la nouvelle centrale à gaz à Birr (AG), censée répondre à la crise énergétique qui a effrayé l’Europe. S’il est de première importance de s’intéresser à la production et la distribution des énergies fossiles, un regard du côté de la consommation de ces précieuses ressources est aussi instructif: sans compter les massives émissions importées, les gaz à effet de serre suisses proviennent pour environ un tiers de la mobilité (il est grand temps de subventionner les transports publics et interdire les SUV!), un tiers de l’industrie (peut-être faudrait-il commencer à moins consommer?) et un dernier tiers des ménages, en particulier à travers le chauffage. C’est sûrement cette large part consacrée au chauffage, ainsi que l’existence de solutions facilement réalisables, qui expliquent que les volontés de rénovation et de remplacement des systèmes de chauffage font consensus: Isolons les bâtiments et remplaçons les archaïques cuves de mazout!

Pourtant d’irréductibles propriétaires résistent encore, et ne semblent pas près de lâcher. Pour une raison simple: ils et elles perdraient de l’argent. Brève explication: depuis plusieurs décennies, les propriétaires immobiliers s’assurent de confortables marges en tirant les loyers à la hausse. Ils et elles profitent de la situation difficile des locataires, lesquel·les n’ont que deux manières de contester une hausse de loyer. Soit par une opposition dans un délai de quelques jours après la prise du bail – mais peu de gens ont la connaissance de ce droit et beaucoup craignent des représailles des propriétaires. Soit lors d’un chantier qui mènerait à une élévation du loyer. Et c’est ici que ça coince. Si les propriétaires, dans un élan de conscience écologiste, décidaient de rénover leurs appartements, elles et ils donneraient l’opportunité aux locataires de contester leur loyer. En faisant le compte, on constaterait que les loyers – au-delà des rénovations – sont trop élevés et «risqueraient» d’être réduits de force. Bien mauvaise affaire pour les propriétaires qui, de toute façon, n’ont pas à s’acquitter des dépenses d’énergie en chauffage.

Face au refus de lutter contre les passoires thermiques, que peut-on espérer? Si on ne peut que souhaiter qu’une nouvelle loi sur l’énergie oblige les propriétaires à rénover les bâtiments à leurs frais, on peut s’attendre à ce que pareille loi, pour les accommoder, prévoie de larges subventions ainsi que de longs délais pour les «inciter» à se lancer. Après avoir accumulé un joli pactole durant ces dernières années en augmentant les loyers plus que de raison, les propriétaires auront désormais la chance de recevoir de l’argent du contribuable pour financer les rénovations de leurs immeubles.

Les coopératives d’habitation représentent une première solution, réalisable dès maintenant. A côté de ces initiatives salutaires, mais coûteuses et nécessitant une ténacité de longue haleine – à l’image de la Coopérative d’en face, à Neuchâtel, véritable petite utopie plantée dans la ville –, un modèle prometteur est celui de la campagne allemande Deutsche Wohnen & Co. Enteignen [exproprier Deutsche Wohnen & Co, une société de logement], qui est parvenue à exproprier les entreprises immobilières de Berlin possédant plus de 3000 appartements pour créer une aire municipalisée de l’immobilier. En réaction à une réelle pénurie et à une hausse des prix du logement à Berlin, cette mobilisation a obtenu une éclatante victoire en référendum populaire il y a deux ans. Lorsque cette loi entrera en vigueur, l’argent des loyers – qui pourront être réduits – n’ira ainsi plus à des actionnaires, mais à une nouvelle structure socialisée où il pourra servir à des rénovations qui à leur tour permettront de réduire la consommation d’énergie, et donc les factures. Loyers abordables et rénovation écologique, n’est-ce pas un exemple phare de l’intersection entre une dynamique sociale et environnementale?

Ex-proprier: il s’agit de sortir les propriétaires à but lucratif de leur chasse gardée. Mais après la désappropriation, il nous faut remplir cet espace laissé vide: socialiser. Rendre à la société, aux personnes concernées, leur argent et leur droit de décision – ce qu’on appelle la démocratie, est-ce trop demander? Exproprier-socialiser, voilà peut-être un binôme qui pourrait nous être d’une grande aide dans ces prochaines années. Et ce, dans de multiples domaines, comme le montre la campagne RWE Enteignen [exproprier RWE] contre le géant allemand du charbon, qui propose de socialiser la production d’énergie.

www.climatestrike.ch/system-change

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mardi 19 avril 2022

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