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Cameroun: assassiné pour avoir dénoncé la corruption

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Pour avoir voulu faire acte de civisme en dénonçant les colossaux détournements de fonds publics effectués par des responsables politiques au Cameroun, le journaliste animateur Martinez Zogo l’a payé de sa vie. Il a été enlevé par des «inconnus» encagoulés, torturé puis assassiné dans la nuit du 17 au 18 janvier dernier, avant que son corps mutilé ne soit retrouvé dans un terrain vague de la banlieue de Yaoundé quatre jours plus tard.

Le fait que les assassins aient choisi de ne pas faire disparaître le corps, comme ce fut le cas pour d’autres crimes politiques, apparaît comme une menace claire à l’encontre des journalistes et, d’une manière générale, de tout lanceur ou lanceuse d’alerte potentiel·le. Cet acte abominable pourrait également être un élément de la guerre sans merci que se livrent actuellement des clans opposés proches du pouvoir, dans la perspective de l’après-Biya – le président camerounais, Paul Biya, qui a ses habitudes à l’Hôtel Intercontinental de Genève, va fêter le 13 février ses 90 ans, dont 40 années au pouvoir.

L’assassinat de Martinez Zogo, les tortures innommables dont il a fait l’objet, ont créé une véritable onde de choc dans tout le pays et bien au-delà. Dans son émission «Embouteillages» diffusée sur les ondes de la chaîne de radio Amplitude FM, le journaliste dénonçait régulièrement la corruption et les détournements de fonds qui gangrènent ce pays d’Afrique centrale, auquel le président français, Emmanuel Macron, a rendu une visite d’Etat au mois de juillet dernier. Ces dernières semaines, Martinez Zogo avait multiplié les dénonciations de malversations financières, impliquant des ministres, des hauts fonctionnaires, des personnalités connues, tout en clamant que sa démarche était en phase avec les vœux du président Biya, lequel, dans son discours du 31 décembre 2022, avait encouragé ses compatriotes à dénoncer les pilleurs de l’argent public.

Ce nouvel assassinat rappelle à quel point les journalistes et autres lanceurs et lanceuses d’alerte, au Cameroun comme dans de nombreux autres pays, sont en danger de mort dès lors qu’ils et elles s’attaquent à la corruption, aux détournements de fonds industriels perpétrés au sommet de l’Etat qui clochardisent et fragilisent des sociétés toute entières. Les mesures de rétorsion peuvent aller jusqu’à l’assassinat, comme c’est le cas du journaliste Martinez Zogo, ou à des arrestations et incarcérations sans jugements.

Une répression plus sournoise et discrète passe par l’impossibilité pour la personne qui a osé mettre en cause la «gouvernance» de hauts responsables politiques d’accéder ensuite à un poste au sein de l’administration nationale ou d’exercer une activité privée; des mesures qui impacteront également sa famille élargie et ses proches, qui, par conséquent, auront une vie beaucoup plus compliquée.

Il faut donc un courage considérable pour s’y risquer. Au début de cette semaine, au Sénégal, malgré les dangers encourus, un collectif de citoyen·nes et d’organisations de la société civile a déposé une plainte auprès du Tribunal de Dakar après que la Cour des comptes a signalé que des milliards de francs CFA destinés à faire face à la crise du Covid avaient été détournés, mettant nommément en cause une douzaine de personnes. Or, malgré les engagements pris par le président sénégalais, Macky Sall, lors de ses vœux de Nouvel An, rien n’a encore bougé pour l’instant.

Au Cameroun, face au choc provoqué par l’assassinat de Martinez Zogo, les autorités ont promis l’ouverture d’une enquête et que justice sera rendue. Reste que de nombreux crimes commis à l’encontre de journalistes et de lanceurs d’alerte n’ont jamais été élucidés. Et que pour l’heure, sur les réseaux sociaux, circulent les noms de plusieurs d’entre eux, présentés comme étant les prochaines victimes.

Catherine Morand est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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