Cavanna bande encore!
Comme Saint Eloi, dans Le pou et l’araignée… un titre qui ne dit rien à la génération Z, mais qui pointe une célèbre chanson de carabins pour des retraités privilégiés. Cavanna n’est pas mort, car il publie encore! dit presque un refrain de la chanson. Cette turgescence éditoriale posthume, le célèbre Rital la doit à Virginie Vernay, la «petite Virginie» qui l’assista jusqu’au bout dans ses œuvres et ses malheurs. En particulier quand cette autre, qu’il surnommait «Mademoiselle Parkinson», lui bouffait tout cru sa formidable énergie. Avec la discrétion, l’intelligence et le charme qui avaient conquis François Cavanna, Virginie a préparé une réédition de Stop-Crève 1> François Cavanna, Stop-Crève, Wombat, 2023
[Pauvert, 1976]. et un recueil inédit des nécrologies que Cavanna avait consacrées, dans ses journaux successifs, tant à des ennemis qu’à ses amis.
Le dernier qui restera se tapera toutes les veuves 2>François Cavanna, Le dernier qui restera se tapera toutes les veuves, Wombat, 2023., c’était le titre de la nécrologie de Reiser dans Hara Kiri. Cavanna, n’étant pas le dernier à partir, ne s’est pas tapé toutes les veuves, pas plus que Delfeil de Ton, qui le préface, ni Willem, qui signe les couvertures des deux livres. Eh oui, il reste des survivant·es, plus ou moins discret·es, de la génération Hara Kiri, qui pensent encore que l’humour direct – le «coup de poing dans la gueule» selon Cavanna – est une meilleure arme contre la bêtise que le politiquement correct des Etasuniens et de leurs colonisés européens!
Stop-Crève est une collection de coups de colère de Cavanna contre la mort, cette connerie qui t’oblige à renoncer au seul truc que tu as – provisoirement – dans la vie: la conscience. Un truc qui permet de jouir – pas que des veuves! – et de faire des projets. Les gens intelligents, ils en font plein, des projets. Ils pourraient même en faire de plus en plus, au fur et à mesure que leurs expériences de vie s’accumulent. Mais cette salope de Crève se déguise en Miss Parkinson ou autre, bouffe les neurones, pète les cols des fémurs et laisse au mieux, à la fin, «une heure de lucidité par jour», comme on disait de Mitterrand agonisant.
De chronique en chronique, de Hara Kiris en Charlies, le rital véner hurle contre cette absurdité… et contre ces salauds de biologistes, qui passent leur temps à des sottises plutôt que de lutter contre le vieillissement de l’ADN et des cellules! Bon, à l’époque, je ne connaissais pas encore assez le grand François pour pouvoir argumenter sur l’élimination des vieux et les mises à jour des jeunes, que des milliards d’années de sélection naturelle semblent avoir retenues. Sûr qu’on en aurait discuté pendant des heures! Peut-être au Jardin des plantes, à Paris, devant la cage de sa copine Nénette, orang-outan de service. Ainsi qu’il le fît avec notre ami Pascal Tassy, paléontologue et harakirologue distingué.
Nonobstant ces coups de gueule contre les moulins funèbres, Cavanna transforme l’accablant genre littéraire des nécrologies en occasions improbables de se fendre la gueule! Comme bien d’autres, il savait que l’émotion extrême est un état d’instabilité totale, qui bascule très vite de la crise de larmes au fou-rire. Combien de scènes immortelles de cinéma se passent dans des cimetières ou des églises, au milieu de foules catastrophées qu’un détail saugrenu déstabilise vers le rire! Pareil quand on évoque un cher disparu qui nous a tant fait rigoler. Et puis, de ce point de vue, la mort est libératrice: ceux qui étaient sinistres de leur vivant peuvent devenir comiques en cessant de nuire. Avant, c’est plus difficile et souvent mal compris d’en rire, surtout en mauvaise compagnie, comme le rappelait Desproges!
Alors entre les potes, comme Fred ou Reiser, on trouvera dans Le dernier survivant… de Cavanna des portraits improbables d’Eisenhower, Michael Jackson, ben Laden, d’un SDF… et de ses animaux favoris, chats ou… orangs-outans. Comme «le roi Toubo», fils de Nénette, qui faisait de doux bisous à Virginie à travers la vitre!
Notes
*Chroniqueur énervant.