Genève

En panne d’ambition?

Le projet d’extension du train dans le canton de Genève ne fait pas l’unanimité. Des associations regrettent un projet trop peu ouvert sur le réseau ferroviaire européen.
En panne d’ambition? 1
L’extension ferroviaire prévue depuis la gare Cornavin ne suffira pas à placer Genève sur les axes principaux européens. Jean-Patrick Di Silvestro
Rail

Le canton de Genève prend-il le développement ferroviaire par le mauvais bout du tunnel? En présentant il y a quelques mois son projet de diamétrale1>Notre édition du 15 septembre 2022., le magistrat Serge Dal Busco n’a pas convaincu l’ensemble des acteurs transfrontaliers. Le développement d’une ligne reliant Lancy-Pont-Rouge aux Cherpines et à Bernex – voire à Saint-Julien-en-Genevois sous réserve d’un accord avec la France voisine – laisse sur leur faim certains observateurs. Dont le Forum d’agglomération du Grand Genève qui, dans un rapport portant sur le développement ferroviaire2>Rapport rendu en juin 2021., faisait état de son scepticisme sur l’option retenue par l’Etat.

En panne d’ambition?

Si la desserte des nouveaux quartiers plan-les-ouatiens et bernésiens ne fait pas en soit débat, le tracé qui forme une grande boucle au départ de Cornavin laisse perplexe en termes de desserte de la France voisine. «Il faudrait explorer une autre option pour raccorder Cornavin directement avec Annecy, en voie directe», plaide Tobias Imobersteg, président de l’association Alprail, elle-même membre du Forum d’agglomération.

Du côté du canton, on préfère l’adage «un tiens vaut mieux que deux tu l’auras»: le conseiller d’Etat chargé des Infrastructures rappelle que Genève ne maîtrise «ni les financements ni les processus décisionnels d’un projet qui se ferait essentiellement sur territoire français».

Rentabiliser l’axe existant

Pour rappel, le projet porté par le département consiste à rentabiliser l’axe existant du CEVA entre Cornavin et Lancy-Pont-Rouge, d’où partirait une nouvelle branche en direction de Bernex – voire de Saint-Julien. «Il n’y a aujourd’hui pas de capacités de dépassement sur la voie CEVA, et les trains rapides sont totalement exclus», pointe du doigt le député indépendant (ex-écologiste) Boris Calame, membre du comité d’Alprail. «C’est une vision simple et à court terme, qui consiste à utiliser une capacité aujourd’hui libre sur le tronçon CEVA. Ne prend-on pas le risque d’hypothéquer une augmentation de la cadence ultérieurement nécessaire en direction d’Annemasse?» argumente Tobias Imobersteg.

Pour Alprail, le développement en direction du sud est nécessaire, mais doit se concrétiser par une ligne propre permettant de rallier Annecy en moins d’une demi-heure. Une nouvelle ligne qui ne verrait pas le jour avant des décennies? «On peut envisager un aménagement raisonné, qui longerait en partie le tracé de l’autoroute», contredit le géographe et sociologue.

L’Association transports et environnement (ATE) Genève se montre plus réservée. «Cette option mérite discussion, mais il y a un principe de réalité: cette variante demanderait des investissements encore plus importants», relève sa présidente, la députée socialiste Caroline Marti. «Quelle est sa faisabilité financière et technique, en a-t-on seulement la maîtrise foncière? Il ne serait pas souhaitable de retarder le projet dès lors que celui-ci n’est pas en contradiction avec les autres enjeux ferroviaires.»

«Envisager un tracé direct vers Annecy qui passe sous le Salève implique des travaux colossaux et extrêmement coûteux sur territoire français et c’est un projet sur lequel l’Etat français n’a strictement aucune intention à ce jour, répond pour sa part Serge Dal Busco. Lors de la réalisation de l’autoroute entre Annecy et Genève, il avait été imaginé de construire le long de l’A41 une ligne ferroviaire, mais ce projet a été abandonné au vu des contraintes de réalisation (fortes pentes incompatibles avec les normes de circulations ferroviaires) et des coûts prohibitifs.»

Vision plus large

L’insatisfaction d’Alprail sur le projet de développement cantonal s’inscrit dans une vision plus large des besoins et des priorités. «Le bassin de vie de notre région va bien au-delà du Grand Genève. Il faut se situer dans une logique européenne au niveau ferroviaire», projette le président d’Alprail, qui voudrait voir Genève s’imposer sur un axe international reliant Munich à Lyon. On en est encore loin aujourd’hui, avec pour seul lien ferroviaire entre le bout du lac et la métropole lyonnaise une voie TER poussive. Quant à la France voisine (Haute-Savoie et Ain), la desserte n’y est guère assez intéressante pour faire de Genève un pivot international crédible. «Si l’on ne se montre pas plus ambitieux, le Léman Express ne restera qu’une île au milieu du réseau ferroviaire européen», estime Tobias Imobersteg.

Et de citer l’exemple de Zurich, «qui a dû se battre pour sa position stratégique, bien que géographiquement moins évidente. Elle y est parvenue en planifiant sur un horizon temporel de quarante à cinquante ans. Il est nécessaire de se mettre sur ce temps long.» A Genève, les études en cours portent sur 2050, «avec l’objectif de réfléchir sur les infrastructures nécessaires, argumente Serge Dal Busco. Si le périmètre de travail reste le canton de Genève, le périmètre d’observation est beaucoup plus large et intègre l’agglomération du Grand Genève, mais tient également compte des liaisons et raccordements aux pôles nationaux et internationaux. Le projet de diamétrale ne constitue pas notre seule ambition ferroviaire à long terme.»

Nombreuses attentes

C’est que les attentes liées au rail sont nombreuses dans la région. Voir renaître la ligne du Tonkin, qui reliait Genève à Saint-Gingolph via Evian-les-Bains, est à l’agenda des associations depuis longtemps. De même, elles sont nombreuses à réclamer le maintien de l’emprise ferroviaire de la ligne dite du Pied du Jura (pays de Gex) en vue d’un possible renouveau futur. Une option pas vraiment à l’ordre du jour, «l’efficacité d’une telle réhabilitation n’était pas démontrée. La composante ‘pavillonnaire’ très marquée du pays de Gex et le développement urbain avéré depuis cet arrêt d’exploitation en sont les raisons principales», mentionne Serge Dal Busco.

Une logique de conception ferroviaire qui ne fait pas sens aux yeux du président d’Alprail: «En matière de planification du rail, on réfléchit d’abord en termes de besoins, qu’on priorise en établissant des horaires qui devraient permettre de raccorder l’échelle régionale à la desserte européenne. Ensuite seulement tout cela peut se traduire en infrastructures.»

Un fleuron helvétique boudé à l’international

La Suisse et son réseau de trains à la densité inégalée ont longtemps représenté la quintessence ferroviaire. Paradoxalement, le fleuron du rail peine aujourd’hui à s’imposer dans la logique des grandes lignes européennes. Bâle et Zurich font figures d’exception en ayant su s’imposer en direction de l’Allemagne voisine, de la France, de l’Italie et de l’Autriche, et plus récemment dans les projets de développement des trains de nuit.

Pour le reste et particulièrement en Suisse romande, le tableau est moins reluisant. Les grands axes européens, à l’image de l’actuelle connexion Lyon-Munich via Strasbourg, boudent les rails helvétiques. De même pour se rendre de Paris à Milan: on déserte l’historique trajet par le Simplon au profit du tunnel du Fréjus, sur la ligne Lyon-Turin.

Regrettable pour un pays qui mise et investit par ailleurs beaucoup dans son infrastructure ferroviaire. Plusieurs spécialistes regrettent, à l’échelle de la Confédération, une «planification très suisso-centrée», à l’image du plan Rail 2050, dont la phase de consultation s’est récemment terminée. «Il n’y a pas de réflexion à l’échelle européenne, si ce n’est pour les trains de nuit», regrette Tobias Imobersteg, président de l’association Alprail. Un avis partagé notamment par la conseillère d’Etat vaudoise chargée des Transports, Nuria Gorrite1.

Si certains axes pèchent du côté français, à l’image de la connexion laborieuse entre Genève et Lyon, les réponses sont aussi à chercher à l’intérieur des frontières suisses. Une nouvelle ligne reliant Genève à Berne s’avérerait notamment nécessaire pour augmenter l’attractivité au niveau international. Mais sur l’échelle temporelle des décisions politiques, un tel projet ne verrait pas le jour avant un demi-siècle, tout au mieux. MJT

1La conseillère d’Etat s’était exprimée dans le cadre d’un colloque consacré aux connexions internationales de et vers la Suisse romande organisé par l’association Ouestrail.

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